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les couleurs d’une parure, parce qu’il y a des couleurs qui ne se conviennent point entre-elles.

Le goût dans les matières littéraires, pourroit être defini le sentiment des convenances dans l’ensemble, les détails & l’expression. Si cette definition est juste, que penser de ces hommes sans goût & sans jugement, qui soutiennent que le goût est l’assassin du génie, comme si le propre du génie étoit de s’écarter des convenances ? mais on fait combien de littérateurs & d’artistes sont intéresses à décorer le bizarre du beau titre de génie.

L’ecrivain, homme de goût, juge les convenances du sujet qui l’occupe & il les observe : le lecteur, homme de goût, applaudit à l’observation de ces convenances, ou condamne l’auteur qui ne les a pas observées.

Un ouvrage est de mauvais goût, quand le sujet manque lui-même aux convenances. Tels sont ceux dont l’objet est dégoûtant, ou ignoble, ou d’une sale obscenité, & capables seulement de plaire aux gens qui ont les mœurs & l’esprit corrompus. Des détails de mauvais goût sont ceux qui manquent aux convenances générales, ou ceux qui, sans être vicieux par eux-mêmes, pèchent contre les convenances du sujet. Ainsi les grands mouvemens, les figures hardies de l’art oratoire ou de la haute pœsie. si souvent prodigues aujourd’hui dans des sujets qui n’exigent que de la simplicité, sont de mauvais goût dans ces sujets, quoiqu’ils pussent mériter d’être applaudis s’ils étoient mieux placés. Enfin l’expression est de mauvais goût, quand elle n’est pas convenable au sujet que l’on traite ; quand elle est trop élevée, trop basse, trop fleurie, trop simple, trop recherchée, toujours relativement à ce sujet.

On confond quelquefois, dans les ouvrages d’esprit, la finesse & la délicatesse avec le goût. Cependant un auteur peut avoir des idées fines, délicates, sans avoir le sentiment général ou particulier des convenances. Il pourra mettre de la finesse où il faut de la noblesse, de la force, de la grandeur ; & mettre de la délicatesse où il faut la plus grande clarté.

Le bon style sera toujours de bon goût, puisque le style ne peut être bon sans s’accorder avec les convenances de la langue, & du sujet, & des détails du sujet.

Le goût dans les arts ne doit pas être différent de ce qu’il est dans les lettres ; il change seulement d’objet, & reste le même ; il consiste toujours dans l’observation des convenances.

Le dessin sera d’accord avec les convenances générales s’il est conforme à un beau modèle choisi dans la nature : mais il peut manquer à la convenance du sujet, si par exemple une figure d’Hercule est d’un dessin svelte, ou celle


d’Apollon d’un dessin musclé. Alors le dessin bon en lui-même, sera de mauvais goût relativement au sujet.

La couleur sera de mauvais goût, si elle inspire la gaieté dans un sujet cul ne doit inspirer que de la tristesse, de la pitié, de l’horreur ; ou si elle est triste quand le sujet exige de la gaieté.

Tout ce qui, dans la composition, peut offenser les convenances générales, ou les convenances partielles du sujet, constitue une composition de mauvais goût.

Une draperie, indépendamment des convenances de costume, sera de mauvais goût, si elle ne convient pas au sujet ou aux personnages qui en seront revêtus. Des étoffes gaies & brillantes seront de mauvais goût dans un sujet lugubre ; elles le seront encore, si on les choisit pour draper un vieillard respectable, un grave philosophe, un magistrat austère.

Tous les accessoires peuvent être jugés par les mêmes principes. La prodigalité de richesses dans les détails est souvent une faute de goût, parce qu’elle pèche contre une des premières convenances de l’art, qui est d’attirer l’attention sur l’objet principal.

On dit de certaines personnes qu’elle n’ont pas de goût. Cela peut être vrai, & l’est même toujours sous un grand nombre de rapports ; mais ne peut l’être généralement, à moins qu’il ne s’agisse de personnes dont l’organisation soit absolument viciée. Il n’y a pas d’ailleurs d’homme qui ne soit capable de sentir quelques convenances, & d’en juger, & qui, par rapport à ces convenances ne soit homme de goût.

Mais comme le cercle des convenances semble renfermer tout ce qui existe, il n’est personne dont l’esprit puisse parcourir ce cercle entier, & qui par conséquent puisse avoir le goût universel.

On regarde le goût comme inné ; on prétend que le goût ne se peut acquérir. se principe est faux, s’il est pris généralement ; il est vrai, si l’on veut le particulariser.

L’homme, par exemple, qui est né avec un caractère froid & peu sensible, pourra montrer beaucoup de goût dans les objets qui ne tiennent qu’à la raison sévère, & sentira très-bien les convenances réciproques de ces objets ; mais il ne sentira pas celles des genres qui ne doivent leur mérite qu’à l’impétuosité des passions, à la chaleur brûlante de l’enthousiasme. Il est donc vrai que certains hommes n’acquerront jamais le goût qui fait produire ou juger certains ouvrages, parce qu’il n’a pas même apporté en naissant ce que nous appellerons les organes de ce goût. Il ne sentira pas mieux les convenances des objets auxquels son organisation