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G OU sujettes à moins d’instabilité que las conventions.

En effet les convenances naissent de la nature même des choses & des hommes, je veux dire, de ce qu’ils sont essentiellement & de ce que par conséquent, ils doivent être les uns l’égard des autres dans l’ordre général : si l’on considère les convenances relativement aux hommes, elles consistent dans les relations & les rapports indispensables qu’ils doivent établir entre eux, ou qui s’y établissent naturellement pour leur plus grand avantage.

Le goût appuié sur les conventions est plus restraint ; parce que les conventions n’embrassent pas les choses ni les hommes en général, & ne s’établissent le plus ordinairement qu’entre un certain nombre d’hommes : aussi les conventions différent entre elles dans les différents climats, dans les tems divers, dans les diverses sociétés & jusques dans les plus petites portions des sociétés.

C’est par ces raisons que le goût qui naît des conventions peut être établi sur tant de bases & si multiplié qu’on le regarde enfin comme arbitraire. Aussi voit-on parmi nous très-fréquemment, par exemple, que le goût de la cour, n’est pas celui de la capitale, ni ce dernier, celui des provinces. Delà, résulte encore que l’homme vulgairement appellé homme de goût, se peut considérer sous tant d’aspects différens, & qu’enfin chaque quartier d’une grande ville, & jusqu’à chaque cotterie particulière a le sien qui ne sera point celui d’une autre.

C’est par une suite des mêmes raisons que si le goût qui blesse certaines convenances générales, mais qu’autorisent certaines conventions, peut usurper quelquefois les droits du bon goût, le goût qui convient au plus grand nombre des convenances, parvient tôt ou tard à reprendre ses priviléges, & à faire proscrire le goût purement conventionel.

Il soit nécessaire de présenter ces idées générales, avant d’en faire l’application aux Beaux-Arts, & en particulier a la peinture ; d’après ces bases données, on conçoit que le goût, fondé sur des conventions, peut, même en blessant certaines convenances, passer quelquefois pour être le bon goût ; mais que l’artiste ou l’écrivain qui, sans égard pour des conventions sujettes à changer, satisfait le plus grand nombre des convenances invariables, est enfin, tôt ou tard, généralement regardé comme ayant suivi le bon goût.

C’est donc par cette raison que ce qui est généralement désigné par le nom de chefs-d’œuvre, entre les productions des beaux-arts, est admiré dans plusieurs paya différents, & pendant de longues suites de siècles, quoique ces chefs-d’œuvre soient contraires à un grand nombre de conventions établies.


Mais il faut observer pareillement que comme la perfection complette des ouvrages de l’art est-au-dessus des efforts de l’humanité ; on doit trouver à reprendre même dans ces ouvrages admirés qui survivent aux changemens des conventions, parce que l’on y peu l’on y peut rencontrer quelques défauts de convenances.

Je pense que d’après ces explications, on peut se rendre à-peu-près compte de tout ce qui paroît le plus ordinairement obscur, incertain & quelque fois contradictoire dans les idées qu’on a du goût.

L’Iliade, le Laocoon, le choix des ouvrages de Raphaël & des grands artistes, satisfont tellement le plus grand nombre des convenances générales, & celles qui ont rapport aux arts libéraux, qu’ils obtiendront, tant que les hommes ne redeviendront pas barbares, les hommages qui leur ont été décernés.

Quant aux ouvrages dans lesquels on ne s’est conformé qu’à certaines conventions plus ou moins durables, ils peuvent avoir un succès quelque fois brillant & qui dure autant que ces conventions existent ; mais semblables à des météores, on les voit perdre subitement leur éclat, & ce qui avoit excité l’admiration éprouve souvent le mépris. C’est ainsi que plusieurs opinions, plusieurs préférences dans les ouvragea d’esprit & d’arts, ont fini par être livrées au ridicule sur le théâtre, après que la mode les eût fait regarder dans des cours brillantes ou des sociétés renommées, comme les résultats & les prononcés du bon goût.

Le véritablement bon goût tient donc à l’intérêt général ; car cet intérêt a pour bases les grandes & générales convenances.

Des principes généraux que je viens d’énoncer, on doit inférer, entr’autres choses, que pour acquérir & conserver la pureté du goût qui appartient aux arts, les peintres doivent s’instruire par la lecture, par l’étude des bons ouvrages, & se rendre compte par la méditation de ce qui constitue les véritables convenances. Habituez-vous, jeunes disciples, à les respecter, elles regleront vos mœurs, votre conduite & dirigeront votre talent.

Pliez-vous cependant à certaines conventions pour ne pas vous singulariser ; mais non pas dans ce qui regarde la perfection de l’art, supposé qu’elles y fussent contraires. Défendez-vous relativement à votre talent de vous laisser entraîner par les conventions passagères & souvent extravagantes des modes, par la recherche, l’affectation & les singularités. Ces erreurs sont originairement l’ouvrage d’un individu dont vous deviendriez les disciples, & vous ne devez l’être que de la belle nature. Les modes ne sont adoptées que par une société plus ou moins nombreuse, & vous devez avoir pour but de plaire à toutes.