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parties & que le concours de ces parties essentielles, lorsque le génie les employe heureusement, donne les moyens les plus usités d’apprécier les rangs & le vrai mérite dans les arts.

C’est pour parvenir à cette appréciation que de Piles avoit ingénieusement proposé une sorte de balance dans laquelle, évaluant pour ainsi dire le poids de chaque partie de l’art, il pensoit que l’on pouvoit pour chaque peintre former un résultat de son mérite.

Mais on sent combien ces résultats deviennent vagues, & combien cette balance, dans les différentes mains qui en feroient usage, seroit fautive.

En effet, que dans un sujet parfaitement ordonné, dessiné avec pureté, colorié avec force, les réminiscences soient ou cachées ou difficiles à découvrir, l’évaluation du mérite de l’originalité ne sera pas juste. Que les sujets soient simples, faciles à composer & à ordonner, ou qu’ils soient tels qu’on les voit dans les grandes machines, l’évaluation du talent de composer peut-elle être la même ?

Il n’est donc, à vrai dire, que l’homme de génie qui puisse véritablement apprécier le génie. C’est au seul tribunal de ses pairs qu’il peut être jugé ; mais son influence se fait sentir à tout le monde, comme tout le monde est frappé de celle de la chaleur athmosphérique, dont les savans physiciens apprécient l’intensité.

Pour vous, jeunes artistes, soyez avertis qu’á votre âge il est une effervescence de l’âme & un épanouissement (si l’on peut parler ainsi) des facultés intèllectuelles que trop aisément & trop ordinairement on prend pour les étincelles du génie.

Vous sentez-vous échauffés par les ardeurs de votre imagination, par l’accélération de vos esprits prompts à se mouvoir, par l’exemple, par l’émulation, par quelque desir souvent étranger à ce qui vous occupe ; vous croyez voler aux succès, & la gloire semble venir au-devant de vous ; mais trop souvent cette effervescence passée, le génie a disparu.

Dès que le méchanisme de l’art vous oppose des difficultés, vous redevenez froids, ou le dépit chagrin amortit votre ardeur. Ce n’est pas de génie que vous êtes doués, mais seulement du desir d’en avoir, & malheureusement ce desir ne le donne pas.

Mais si, par une application soutenue, par le desir des succès, vous acquérez les pratiques & les connoissances indispensables ; si vous ne vous rebutez pas des études difficiles ; j’augurerai mieux de votre talent & j’espererai qu’il sera vivifié par le génie. Je penserai qu’il vous soutient en secret, qu’il vous ordonne de lui applanir la route, qu’il vous dit tout bas : rompez mes chaînes & je volerai.


En effet, comment espérez-vous que le génie puisse même seulement marcher dans la carrière que vous lui voulez faire parcourir d’un vol, si lorsqu’il vous inspirera l’expression, votre main ignore quels refforts la rendent visible ? Comment espérez-vous qu’il fasse agir, parler vos figures, si vous avez tant de peine à les construire, que le génie ennuie s’échappe & disparoisse pour seconder ceux qui lui fournissent des moyens aussi prompts que ses volontés ?

Le génie est pour les artistes difficiles, lents & peu sûrs du méchanisme & de la pratique de leur art, comme ces démons qui, paroissant pour obéir aux évocations d’un enchanteur mal habile, le méprisent & le fuient, lorsqu’ils le voyent hésiter & balbutier les ordres qu’il veut leur donner.

Cependant il faut convenir que parmi les jeunes disciples de l’art dont je traite, s’il est des génies précoces (& ce sont les plus incertain,) il en est de lents & de tardifs, dont les fruits plus durables & moins corruptibles ne se sont pas annoncés pas des fleurs prématurées.

Ne vous enorgueillissez donc pas de quelques croquis, de quelques esquisses dans lesquelles vous montrez du sens & de l’esprit. Si l’on vous loue, meffiez-vous d’un encens léger, mais qui entête ; si vos maîtres plus sévères vous blâment ou paroissent peu touchés de ces bluettes de génie, ne pensez pas que ce soit par une affectation pédantesque. Ils vous trahiroient si, dans vos premières études, ils ne donnoient pas la préférence absolue au méchanisme sur les parties spirituelles de l’art. Celles-ci sont les premières sans doute dans l’ordre du mérite, & cependant elles ne doivent s’offrir que les dernières dans l’ordre des études. Si la nature vous les a données, elles ne vous les otera pas ; mais si vous n’acquérez pas les autres qui ne sont pas un don, vous ne les aurez jamais.

Il est donc indispensable que vous sachiez parfaitement dessiner pour bien exprimer. Le dessin est une langue ; plus vous la saurez, plus vous parlerez avec grace, avec force, avec génie. Il est vrai que quelques hommes rares ont été doués dans les arts d’une telle abondance de génie qu’ils ont été distingués sans avoir les qualités que je fais regarder comme indispensables. Ces exceptions ne détruisent pas le principe, & si ces hommes avoient pu acquérir ce qui leur a manqué, ils l’auroient emporté sur tous les autres.

Au reste cet objet d’étude dépend quelquefois des maîtres : il y a un génie de l’instruction comme un génie particulier pour chaque chose, & celui dont je parle est infiniment rare.

Il consiste à conformer les conseils & la marche des études, au caractère, à l’âge, au


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