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mais un assemblage, une suite de tableaux, qui, indépendamment des convenances particulières auxquelles ils seroient astreints, auroient encore entr’eux des rapports suivis d’action & d’intérêt, offriroit sans doute une ressemblance assez sensible, avec les Poëmes dont je viens de parler.

On peut donc avancer que les galeries, décorées par de célèbres artistes, capables non-seulement d’embrasser avec genié une seule composition ; mais l’ensemble d’un nombre de compositions relatives les unes aux autres & divisées, non en plusieurs livres, mais en un certain nombre de réprésentations, peuvent être regardées comme les poëmes de la peinture.

Despréaux, ce législateur, non-seulement des Poëtes, mais de la raison & du goût de tous les tems & de tous les arts, dit qu’une composition de ce genre.

N’est pas de ces travaux qu’un caprice produit ;
Il veut du temps, des soins…

Il veut, oserois-je ajouter plus que tout cela, un génie supérieur. Aussi ne possedons-nous qu’un bien petit nombre de beaux Poëmes & ne connoissons-nous qu’un moindre nombre encore de Poëmes pittoresques ; & qui fait, si on examinoit ceux qui sont célèbres avec la même sévérité qu’on a employée pour apprécier les Iliade, les Æneïde ; qui sait, si l’on faisoit un peu moins d’attention aux beautés purement pittoresques des galeries connues, (je n’en excepte pas celle de Rubens,) si l’on n’en viendroit pas à desirer ce que nous croyons posséder ?

Quelle machine en effet à concevoir, à disposer graduellement, à exécuter, à animer, qu’un poëme pittoresque, tel qu’on peut au moins s’en faire l’idée ! Ce seroit à des ouvrages de ce genre qu’on reconnoîtroit véritablement ce caractère divin, attribué aux chefs-d’œuvre des grands genres, dans tous les tems & parmi tous les hommes éclairés.

Mais pour revenir à l’art seul de la peinture, je crois que le plus puissant moyen de le soutenir, est de proposer des ouvrages des plus grands genres, & de n’en laisser jamais manquer les artistes, qui, avec des talens déjà distingués, sont dans cet âge où le desir de la gloire éleve l’ame & le courage aux plus hautes entreprises.

Relativement à l’art que je traite, je compterois sur son existence soutenue & sur des progrès, s’il y avoit toujours un certain nombre de ces grands ouvrages projettés. Qu’on n’objecte pas les frais ; ils seroient compensés par la gloire nationale. Les moyens ? On en trouveroit en engageant les grands établissemens, les ordres riches, lorsqu’on leur accorde


des graces, les municipalités, à porter plutôt à des ouvrages de cette espèce qu’à des magnificences passagères, ces sommes dont l’emploi précaire ne laisse aucun souvenir. Que ces atteliers s’établissent, soit dans la capitale, soit dans les provinces ; les jeunes artistes s’empresseront de solliciter pour en être les chefs. Ils s’en occuperont en arrivant de Rome, dix ans, s’il le faut, & seront, pendant ce tems au moins, à l’abri de l’influence des mœurs pernicieuses, & du goût, souvent égaré, de la capitale. Ils formeront & avanceront des élèves, en raison des secours dont ils auront besoin, & si, sur dix de ces grands ouvrages, entrepris dans des galeries, dans des réfectoires, dans des salles d’hôtels-de-ville & de tribunaux, dans des bibliothèques & des églises dont les plafonds & les dômes nuds reclament contre la négligence qui les abandonne, un seul est un ouvrage fait pour rester célèbre, les frais employés aux autres ne seront pas perdus : car, si les artistes, chefs de ces travaux, y perdent de leur gloire, il se trouvera entre leurs élèves quelque génie ignoré qui réparera un jour les torts de son maître.

Ces idées, que je crois infiniment importantes pour la peinture, exigeroient encore des détails que je dois me refuser ici ; mais pour me reduire à quelques observations moins vastes, si les descendans des maisons illustres, auxquels leurs chefs ont transmis des honneurs héréditaires, se sont quelquefois permis le faste glorieux & utile de faire représenter dans des galeries les faits historiques de leurs ancêtres, pourquoi les particuliers même, lorsqu’ils croyent pouvoir se permettre des somptuosités qui blessent, ne feroient-ils pas reprèsenter dans leurs galeries des actions vertueuses & des poëmes qui pour être moins héroïques, n’en seroient peut-être que plus attachans ? Serions-nous moins sensibles à voir les tableaux d’une suite d’actions particulières de justice, de bonté, de générosité, que celles que font entreprendre la gloire, la valeur & l’ambition, quelque nobles que puissent être ces motifs ? « Mais, dira-t-on, le sens de ces actions vertueuses & ignorées seroit difficile à faire entendre » Eh bien ! des inscriptions simples feroient l’exposition & on liroit ici : les ressentimens étouffés ; là, l’amitié éprouvée, le courage dans l’adversité, l’innocence & la vertu récompensée &c.

N’est-il pas possible de lier à un sujet les représentations d’un nombre encore plus restreint de tableaux qui orneroient un appartement, un cabinet même ? Mais notre goût régnant & les décorations employées dans les nouveaux édifices qui se constrnisent & se multiplient avec une sorte de délire, s’opposent physiquement à tout ce que la raison & l’interêt des