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ne se battent pas comme des ennemis qui se voudroient du mal ; l’un tâche seulement que l’autre ne prenne pas ce qui lui est si nécessaire à lui-même.

Une femme invite un jeune homme qui tient de la manne dans une corbeille, à en porter au vieillard qui est derrière elle : exemple touchant de bonté. Le besoin qu’elle vient d’éprouver, ne la rend que plus sensible aux souffrances des malheureux.

Une belle & jeune fille regarde en haut, tendant le devant de sa robe, & sans daigner se baisser pour recueillir la manne, elle la reçoit du ciel, comme s’il ne la répandoit que pour elle. L’artiste a voulu exprimer par cette figure l’humeur trop souvent dédaigneuse des femmes qui ont de la beauté. Elles croyent que la nature entière doit être à leur service, & ne reçoivent même les bienfaits que comme des tributs qu’elles sont en droit d’attendre & d’exiger.

Le Poussin a représenté un homme qui porte de la manne. On voit, par son action, qu’il ne fait que commencer à en porter à sa bouche, pour savoir quel en est le goût ; & cet épisode, en apparence peu intéressant, mais en effet très-ingénieux, fait connoître que la manne est une nourriture nouvelle, encore inconnue au peuple à qui elle est accordée. Ainsi le tableau ne représente pas indistinctement la manne tombant dans le désert ; mais le premier instant où elle est tombée.

L’homme & la femme que l’on voit si attachés à en ramasser, sont dans la même attitude, parce que tous deux ont une même intention : on voit par leur empressement qu’ils sont du nombre de ceux qui, par une prévoyance inutile, & par une coupable défiance des secours divins, tâchent d’en faire une trop grande provision.

Le Brun fit encore remarquer, comme une des belles parties du tableau, ce grouppe de figures qui paroissent devant Moyse & Aaron. Des hommes à genoux, d’autres dans une posture d’humiliation, & ayant des vases de manne, semblent remercier le prophête du bien qu’ils viennent de recevoir. Mais Moyse levant en haut les bras & les yeux, leur répond que c’est du ciel que leur vient ce secours ; & le grand prêtre Aaron, joignant les mains, leur donne l’exemple de rendre graces à Dieu.

Les anciens & les sages d’Israël sont derrière Moyse. Comme ils ont une connoissance plus particulière que la multitude, des miracles que Dieu opère par l’entremise de son prophête, ils regardent en haut, & remercient le Tout-Puissant des bienfaits qu’il accorde à son peuple choisi.

Enfin toutes les figures d’un tableau, le site, les épisodes, les accessoires, le ton gé-


néral, les teintes particulières, la couleur, l’étoffe, la forme des draperies, doivent contribuer à fortifier l’expression principale, & à pénétrer l’ame du spectateur des sentimens que l’artiste s’est proposé d’exciter. Les beautés mêmes qui contrarient cet objet, deviennent des défauts, parce qu’elles sont déplacées.(Article de M. LevesQUE.)

EXTRÉMITÉS (subst. fém. plur.). On entend par le mot extrémités, dans le langage de la peinture, les mains & les pieds. La tête devroit sans doute y être comprise ; mais comme elle s’est emparée presque entièrement du droit de caractériser les perfections qu’elle rend plus sensibles, & d’exprimer les affections par un jeu plus varié & plus multiplié des muscles que toutes les autres parties, on la met dans une classe particulière.

Les mains & les pieds sont cependant des organes d’expressions qui, bien accordées avec celles du visage, contribuent infiniment à caractériser & à rendre plus vraies les figures que le peintre s’efforce de nous présenter comme vivantes.

Les extrémités sont susceptibles de graces ; elles expriment à leur manière la joie, la douleur, & entraînent le plus souvent le reste du corps dans leurs mouvemens, en sorte qu’elles en déterminent les positions, les attitudes & la pondération.

Voyez au théâtre un excellent pantomime ; la liberté plus entière que donne son silence d’observer avec attention toutes les parties de son corps, vous font remarquer combien l’accord parfait de l’impression de toutes les parties, & sur-tout des pieds & des mains, contribue à la vérité qui vous attache, ainsi qu’à l’éloquence & à l’énergie du jeu muet. Il est inutile de s’arrêter à établir combien la peinture se rapproche de la pantomime. Quant à la grace, il est aisé d’observer encore combien les détails de la conformation des mains, que la nécessité de leur usage offre sans cesse à nos yeux, les rend susceptibles d’agrémens.

Aussi l’imitation savante & fine de ces beautés contribue-t-elle infiniment à rendre agréables les tableaux des peintres qui, les ayant étudiées, les rendent sensibles dans leurs ouvrages. C’est ainsi qu’une Vierge du Guide ou de l’Albane s’embellit aux yeux de ceux qui la regardent lorsqu’on observe les justes proportions de ses doigts finement étagés & d’une main doucement arrondie, dont les muscles forment dans les points où ils s’attachent de légères cavités, pour désigner, par les formes les plus agréables, ce que les articulations & la nature des os pourroient donner de sécheresse aux mouvemens.