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EXP EXP 273

Le caractère est à leur égard ce que l’expression est à l’égard des êtres animés ; de sorte qu’à la rigueur, le peintre qui ne doit représenter aucun être vivant sans qu’on apperçoive qu’il éprouve une sensation, ou une passion, ne doit aussi représenter aucun être inanimé, sans donner à connoître, avec sa forme générale, son état accidentel, d’où résulte son caractère.

Le ciel a une apparence qui lui est propre & une apparence que lui donnent les accidens qu’il eprouve ; car en même temps qu’il est aërien, transparent, &c, il est serein ou couvert, calme ou orageux : il reçoit sa lumière ou du soleil levant ou du soleil couchant. Un arbre est non-seulement de telle ou telle espèce ; il est encore jeune ou vieux, sain ou malade ; il éprouve les effets de l’été, de l’hiver, du printems ou de l’automne.

L’artiste qui se fait une loi de ne peindre aucun objet animé sans passion, aucun objet inanimé sans caractère, est semblable aux hommes qui n’écrivent ou ne parlent jamais sans avoir une idée juste & précise. Celui qui peint sans avoir ces intentions, ressemble à ceux qui, en si grand nombre, disent ou écrivent des mots dont il ne résulte qu’une idée vague & indéterminée

Les loix que vous venez d’établir, dira-t-on, prescrivent des obligations si difficiles, qu’on pourroit affirmer qu’aucun artiste ne doit les avoir complettement remplies. Cela est vrai : je pense même que cette observance est au-dessus des moyens de l’art ; mais ces loix n’en sont pas moins imposées par la nature. Cependant, comme dans la perfection morale, on admet par nécessité des modifications & différens degrés de mérite ; ainsi l’artiste qui approche de cette perfection d’imitation que l’art ne peut atteindre, a droit à de justes louanges & même à l’admiration. En effet, que dans un nombre de figures dont un tableau est composé, celles qui doivent intéresser davantage, montrent les sensations ou soient affectées des passions qu’elles doivent avoir, on pardonne aisément à quelques autres d’être (comme cela n’arrive que trop souvent) insignifiantes. De même, si les objets inanimés les plus essentiels à l’action ont le caractère distinctif qui y a le plus de rapport, on doit & l’on est forcé d’être indulgent. D’ailleurs il faut observer que si l’on étoit témoin de l’action réelle qui est représentée, on fixeroit sa vue sur l’endroit de la scène qui inspireroit le plus d’intérêt, & qu’on n’appercevroit alors que vaguement ce qui seroit plus éloigné. Cette observation, fondée sur une vérité de fait, est infiniment essentielle pour fonder à leur tour plusieurs des conventions reçues dans la peinture moderne.

Mais, ces modifications ou ces adoucissemens des loix de l’expression, n’empêchent pas qu’un


objet peint ne doive, comme par un effet magique, exciter dans le spectareur l’idée de ce qui n’existe pas dans cet objet ; c’est-à-dire, l’idée du mouvement ou de la vie. Et cet effet surnaturel a lieu dans les chefs-d’œuvre d’un art, que, par cette raison sans doute, on a nommé divin.

L’on peut donc dire des ouvrages de peinture qu’anime l’expression, ce qu’Horace disoit des poësies de Sapho.

Spirat adhuc amor

Vivuntque commissi calores

Œoliœ fidibus puellœ.

Pour parvenir, s’il est possible, à concevoir en partie les causes de ce miracle de la peinture, il est nécessaire de se fixer à deux observations.

La première, que l’union de l’ame & du corps est si intime, qu’il n’existe pas un moment où, dans un être animé, le corps ne participe pas des affections de l’ame, puisque même la vie n’est sensible que par cette participation réciproque &continuelle.

La seconde, que la peinture, bornée à ne représenter qu’un instant, peut parvenir cependant à rappeller l’idée de cette action & de cette réaction continuelle de l’ame & des sens, dont l’habitude est telle pour nous, que nous en avons sans cesse l’idée, ou la conscience ; mais comment la peinture en tire-t-elle avantage ? C’est que l’esprit humain qui, dans un continuel mouvement, passe sans cesse du passé au présent, & du présent à l’avenir, ne peut fixer la représentation bien faite d’une action instantanée, sans mêler à l’idée qu’il en prend, des idées antérieures & sur-tout des idées postérieures. Cette ondulation devient d’autant plus rapide, que l’objet est mieux représenté ; & l’esprit qui n’est lui-même que mouvement, dès qu’il est excité par une première illusion, fait participer idéalement la figure bien imitée au mouvement qui lui est propre.

Mais après avoir parlé de l’obligation où est le peintre de provoquer ces effets magiques, on s’attendra peut-être à trouver ici tout au moins quelques indications de ce que, dans la pratique, il doit faire pour la remplir : j’ai dit qu’il est infiniment difficile & peut-être impossible de conduire à cet égard la main de l’artiste.

En effet, s’il est dans la peinture des procédés plus ou moins méchaniques, plus ou moins susceptibles de démonstrations, c’est en raison des rapports qu’ils ont avec quelques sciences exactes & positives, telles que l’anatomie, les proportions, la perspective, & la pondération. La plupart des autres dépendent d’un sentiment intelligent, & ne comportent ni règles précises ni démonstrations possibles.


Beaux-Arts. Tome I. M m