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secret, c’est-à-dire, que la nature le porte à se disposer toujours de la façon la plus commode & la plus favorable à son dessein. La juste proportion des parties, & l’habitude des mouvemens y concourent : delà naît dans ceux qui voyent agir naturellement une figure bien conformée ; l’idée de la facilité, de l’aisance ; ces idées plaisent ; delà naît celle de la grace dans les actions. Pour l’expression, comme elle résulte du mouvement que l’ame exige du corps, & que ce dernier exécute, on sent qu’elle est également subordonnée aux principes physiques ; on sent que le corps est obligé de s’y soumettre, pour obéir à l’ame jusques dans ses volontes les plus rapides & les plus spontanées. (Article de M. Watelet).

ÉQUIVOQUE (subst. fém.) On peut observer en passant que, du tems de Boileau, le genre de ce mot étoit encore douteux :

Du langage françois bizarre hermaphrodite,
De quel genre te faire, équivoque maudite,
Ou maudit ; car sans peine aux rimeurs hasardeux,
L’usage encor, je crois, laisse le choix des deux.

L’usage a décidé pour le genre féminin. On dit à présent une maudite équivoque, & l’on ne diroit plus un équivoque maudit.

Il y a plusieurs sortes d’équivoques en peinture. Équivoque sur l’action de la figure. Marche-t-elle ou est-elle en repos ? Est-ce une figure qui tire ou qui pousse, qui pose ou qui enleve ?

Equivoque sur le ton de la couleur, lorsque le ton d’un objet perce avec le ton du fond ou avec celui d’un autre objet.

Equivoque sur les formes, lorsqu’un membre étant couvert en partie, la portion qui paroît peut ressembler à celle d’un autre membre, ou lorsqu’une portion de draperie peut ressembler à quelqu’autre chose.

Equivoque sur l’expression, lorsque les traits ou l’action d’une figure peuvent convenir à une autre passion que celle dont cette figure doit être affectée.

Equivoque sur le plan, lorsque le spectateur ne peut juger du plan qu’occupe un objet.

Il s’agit moins ici de faire une énumération complette de toutes les sortes d’équivoques, que d’avertir qu’il n’en est aucune qui ne doive être soigneusement évitée. (Article de M. Levesque.)

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ESPRIT (subst. masc.). L’esprit en peinture me paroît être, comme le bel-esprit en littérature, une qualité inférieure à ce qui est grand. Je croi même que cette expression étoit in-


connue aux anciens artistes. On ne trouve dans Pline, lorsqu’il parle des peintres & des statuaires de la Grèce, aucune expression qui puisse se traduire par le mot esprit. On ne disoit pas de Raphaël qu’il dessinoit avec esprit ; Michel-Ange n’a jamais songé à relever ses ouvrages par des touches spirituelles. On a dit long-temps après en parlant du Poussin, qu’il étoit le peintre des gens d’esprit ; mais on n’a pas dit qu’il peignoit avec esprit.

Ce qui est assez particulier, c’est qu’en peinture ce qu’on appelle esprit, est une qualité de la main plutôt que de la pensée. Un peintre a de l’esprit dans sa touche, un dessinateur dans son crayon, & un graveur dans sa pointe.

On loue un peintre en grand en disant qu’il a une touche mâle, ferme, juste ; on loue un peintre en petit, en disant qu’il a une touche spirituelle.

On trouve de l’esprit dans la manière d’exprimer, sans le rendre, le feuillé des arbres, de faire sentir des formes qu’on se contente d’indiquer. Des coups de pinceau, de crayon, de pointe, donnés quelquefois presque au hasard, mais qui montrent de l’adresse & qui ont quelque chose de piquant, sont qualifiés du nom d’esprit. Un trait quelquefois abandonné, quelquefois très-subtil sur les parties saillantes & éclairées, plus fortement ressenti sur les parties rentrantes, encore plus prononcé pour les parties ombrées, se nomme un trait spirituel. Ce sont des moyens qu’emploie le savant artiste pour exprimer en peu de traits ce qu’il sait, & qu’emploie l’artiste qui n’a que de l’adresse par une sorte de charlatanerie. Le premier satisfait les connoisseurs, parce qu’avec peu de chose, il leur indique ce qu’ils savent : le second charme le vulgaire des amateurs, qui se pique d’entendre ce qui souvent ne dit rien, ou ce qui du moins ne dit rien de juste ni de vrai.

Je n’oserois pas dire qu’il y a de l’esqrit dans les paysages du Titien, du Poussin : mais c’est le plus grand éloge qu’on puisse accorder à un grand nombre de paysagistes qui accusent d’une manière assez adroite & assez agréable ce qu’ils seroient incapables de rendre savamment.

On sent que dans le petit, où la proportion trop inférieure à celle de la nature oblige d’indiquer les choses plutôt que de les rendre, il faut avoir souvent recours aux moyens qu’on appelle de l’esprit. C’est une sorte de manière abrégée où le peu doit être donné pour le tout, & ce peu doit être annoncé avec beaucoup d’art.

Le petit est de mauvais goût, si l’on y veut mettre le rendu à la place de l’esprit ; on y sent la peine que s’est donné l’artiste pour rendre ce que pourtant il n’a pas rendu, & ce qu’il ne devoit qu’accuser.