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lever. C’est de-là qu’on doit inférer que, pour parvenir à cette juste expression des actions, il faut que le peintre fasse ensorte que ses figures démontrent, par leur attitude, la quantité de poids ou de force qu’elles empruntent pour l’action qu’elles sont près d’exécuter. J’ai dit la quantité de force, parce que la figure qui supporte un fardeau rejette d’un côté de la ligne qui partage le poids de son corps, ce qu’il faut de plus de ce poids pour balancer le fardeau dont elle est chargée ; la figure qui veut lancer une pierre ou un dard, emprunte la force dont elle a besoin, par une contorsion d’autant plus violente, qu’elle veut porter son coup plus loin : encore est-il nécessaire, pour porter son coup, qu’elle se prépare par une position anticipée à revenir aisément de cette contorsion à la position où elle étoit avant que de se gêner ; ce qui fait ou’un homme qui tourne d’avance la pointe de ses piés vers le but où il veut frapper, & qui ensuite recule son corps ou le contourne, pour acquérir la force dont il a besoin, en acquerra plus que celui qui se poseroit différemment, parce que la position de ses piés facilitant le retour de son corps vers l’endroit qu’il veut frapper, il y revient avec vitesse, & s’y retrouve enfin placé commodément.

Cette succession d’égalité & d’inégalité de poids dans des combinaisons innombrables que notre instinct, sans notre participation & à notre inscu, fait servir à exécuter nos volontés avec une précision géométrique, se remarque lorsqu’on y fait attention ; mais elle est plus sensible, lorsqu’on examine les danseurs & les sauteurs, dont l’art consiste à en faire un usage plus raisonné & plus approfondi. Les faiseurs d’équilibre, les funambules ou danseurs de corde en offrent sur-tout des démonstrations frappantes, parce que dans les mouvemens qu’ils se donnent sur des appuis moins solides, & sur des points de surface plus restreints, l’effet des poids est plus remarquable & plus subit, sur-tout lorsqu’ils exécutent leurs exercices sans appui, & qu’ils marchent ou sautent sur la corde sans contrepoids. C’est alors que vous voyez l’emprunt qu’ils font à chaque instant d’une partie du poids de leur corps pour soutenir l’autre, & pour mettre alternativement leur poids total dans un juste balancement ; c’est alors qu’on voit dans la position de leurs bras l’origine de ces contrastes de membres qui nous plaisent, & qui sont fondés sur la nécessité. Plus ces contrastes sont justes & conformes à la pondération nécessaire des corps, plus ils satisfont le spectateur, sans qu’il cherche à se rendre compte de cette satisfaction qu’il ressent ; plus ils s’eloignent de la nécessité, moins ils produisent d’agrément, ou même plus ils blessent, sans qu’on puisse bien clairement se rendre raison de cette impression.


Ce sont ces observations qui doivent engager les artistes à imiter Léonard de Vinci, & à employer leurs momens de loisir à des réflexions approfondies. Ils se formeront par-là des principes certains, & ces principes produiront dans leurs ouvrages ces beautés vraies & ces graces naturelles, qu’on regarde bien mal-à-propos comme des qualités arbitraires, & pour la définition desquelles on employe si souvent ce terme de je ne sai quoi, expression obscure, & trop peu philosophique pour qu’il soit permis de l’admettre dans des raisonnemens sérieux.

En invitant les Artistes à s’occuper sérieusement de l’équilibre & de la pondération des corps, comme je les ai exhortés à faire des études profondes de l’anatomie, je crois les rappeller à deux points fondamentaux de leur art. Je ne répéterai pas ce que j’ai t de l’anatomie ; mais j’ose leur avancer que la variété, les graces, la force de l’expression ont leurs sources véritables dans les loix de l’équilibre & de la pondération, & sans entrer dans des détails qui demanderoient un ouvrage entier, je me contenterai de mettre sur la voye ceux qui voudront réfléchir sur ce sujet. Pour commencer par la variété, quelles ressources n’a-t-elle pas dans cette nécessité de dispositions différentes, relatives à l’équilibre, que la nature exige au moindre changement d’attitude ! Le peu d’attention sur les détails de cette partie, peut laisser croire à un artiste superficiel, qu’il n’y a qu’un certain nombre de positions qui soient favorables à son talent ; dès que son sujet le rapprochera tant soit peu d’une de ces figures favorites, il se sentira entraîné à s’y fixer par l’habitude ou par la paresse, & si l’on veut décomposer tous ses ouvrages, quelques attitudes, quelques grouppes & quelques caractères de têtes éternellement répétés offriront le fond médiocre de son talent.

Ce n’est point ainsi qu’ont exercé & qu’exercent encore cet art véritablement profond les artistes qui aspirent à une réputation solidement établie. Ils cherchent continuellement dans la nature les effets, & dans le raisonnement les causes & la liaison de ces effets. Ils remarquent, comme je viens de le dire, que le moindre changement dans la situation d’un membre, en exige dans la disposition des autres & que ce n’est point au hasard que se fait cette disposition ; qu’elle est déterminée, non-seulement par le poids des parties du corps, mais par l’union qu’elles ont entr’elles par leur nature, c’est-à-dire, par leur plus ou moins de solidité, & c’est alors que les lumières de l’anatomie du corps doivent guider les réflexions que l’on fait sur son équilibre. Ils sentiront que cette disposition différente qu’exige le moindre mouvement dans les membres, est dirigée à l’avantage de l’homme par un instinct


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