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nature est moins avare, & quoiqu’elle ne concerte pas la dispensation qu’elle fait de ses trésors, elle n’offre point brusquement le contraste de l’abondance & de l’extrême aridité. Les lieux escarpés le joignent imperceptiblement à ceux qui sont unis ; les contraires s’enchaînent par des milieux, d’où résulte cette harmonie générale qui plaît à nos regards. Mais le balancement dont il s’agit ne consiste pas seulement dans la grandeur, le nombre des objets, & la place qu’ils occupent ; il a des ressources dans la disposition & l’enchaînement des masses que forment la lumière & l’ombre. C’est sur-tout cet ordre ingénieux, ce chemin qu’on fait faire à la lumière dans la composition d’un tableau, qui contribuent à son balancement & à son équilibre, qui contentent la vue & qui sont cause que ce sens étant satisfait, l’esprit & l’ame peuvent prendre leur part du plaisir que leur offre l’illusion de la peinture.

J’insiste d’autant plus sur ce principe d’équilibre de la composition, qu’il y a un danger infini pour les artistes dans l’affectation d’une disposition d’objets trop recherchée, & que c’est par cette route que se sont introduits ces principes de contraste & de disposition pyramidiale qu’on a poussés trop loin.

Les beautés de la nature ont un caractère de simplicite qui s’étend sur les tableaux les plus composés & qui plaît dans ceux qu’on pourroit accuser de monotonie. Plusieurs figures dans la même attitude, sur le même plan, sans contraste, sans opposition, bien loin d’être monotones dans la nature, nous y présentent des variétés fines, des nuances délicates, & une union d’action qui enchantent. Il faut, pour imiter ces beautés, une extrême justesse & quelquefois, il est vrai, la naïveté est voisine de la sécheresse & d’un goût pauvre qu’il faut éviter avec autant de soin que ce qui est outré.

Mengs semble avoir tout dit sur l’équilibre de la composition ; c’est au goût, au génie, à l’observation de la nature, de développer le peu de mots dans lesquels il a renfermé son précepte. « On entend, dit-il, par équilibre ou pondération, l’art de distribuer les objets avec discernement, de manière qu’une partie du tableau ne reste pas libre tandis que l’autre est trop chargée : mais il faut que cette distribution paroisse naturelle & ne soit jamais affectée. »

C’en et assez pour la signification de ces mots, équilibre de composition. Consultons Léonard de Vinci sur l’équilibre des corps en particulier.

« La pondération, dit-il chap. CCLX, ou l’équilibre des hommes, se divise en deux parties : elle est simple ou composée. L’équilibre simple est celui qui se remarque dans un homme qui est debout sur ses pieds sans se mouvoir. Dans cette position, si cet homme


étend les bras en les éloignant diversement de leur milieu, ou s’il se baisse en se tenant sur un de ses pieds, le centre de gravité tombe par une ligne perpendiculaire sur le milieu du pied qui pose à terre, & s’il est appuyé également sur ses deux pieds, son estomach aura son centre de gravité sur une ligne qui tombe au point milieu de l’espace qui se trouve entre les deux pieds. » « Léquilibre composé est celui qu’on voit dans un homme qui soutient dans diverses attitudes un poids étranger ; dans Hercule, par exemple, étouffant Antée qu’il suspend en l’air & qu’il presse contre son estomac. Il faut, dans cet exemple, que la figure d’Hercule ait autant de son poids au-delà de la ligne centrale de ses pieds, qu’il y a du poids d’Antée en deçà de cette même ligne. »

On voit, par ces définitions de Léonard de Vinci, que l’équilibre d’une figure est le résultat de moyens qu’elle emploie pour se soutenir, soit dans une action de mouvement, soit dans une attitude de repos.

Je vais tâcher d’exposer les principes de cet auteur dans un ordre qui en rende l’intelligence plus facile pour ceux même qui ne pratiquent pas l’art de peinture.

Quoique le peintre de figure ne puisse produire qu’une représentation immobile de l’homme qu’il imite, l’illusion de son art lui permet de faire un choix dans les actions les plus animées, comme dans les attitudes du plus parfait repos. Il ne peut représenter dans les unes & dans les autres qu’un seul instant ; mais une action, quelque vive, quelque rapide qu’elle soit, est composée d’une suite infnie de momens, & chacun d’eux doit être supposé avoir quelque durée. Ils sont donc tous susceptibles de l’imitation que le peintre en peut faire.

Dans cette succession de momens dont est composée une action, la figure doit (par une loi que la nature impose aux corps qui se meuvent d’eux-mêmes) passer alternativement de l’équilibre, qui consiste dans l’égalité du poids de ses parties balancées & reposées sur un centre, à la cessation de cette égalité. Le mouvement naît de la rupture du parfait équilibre, & le repos provient du rétablissement de ce même équilibre.

Ce mouvement sera d’autant plus fort, plus prompt & plus violent, que la figure dont le poids est partagé également de chaque côté de la ligne qui la soutient en ôtera plus d’un de ces côtés pour le rejetter de l’autre, & cela avec violence & précipitation.

Par une suite de ce principe, un homme ne pourra remuer ou enlever un fardeau qu’il ne tire de soi-même un poids plus qu’égal à celui qu’il veut mouvoir, & qu’il ne le porte du côte opposé à celui où est le fardeau qu’il veut