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suffisoient pas ; on ajouta un morceau d’environ treize pieds, pour rendre le rocher semblable eu modèle qui avoit à-peu-près cinquante pieds de longueur. (Article de M. Levesque.)

ÉQUILIBRE. Omne corpus, nisi extrema sese undique contineant librenturque ad centrum, collabatur ruatque necesse est. Voilà un passage qui me paroît définir le terme dont il s’agit ici, & j’espère qu’une explication un peu détaillée de ce texte, & un précis de ce que Léonard de Vinci dit sur cette partie dans son traité de la peinture, suffiront pour en donner une idée claire. Pomponius Gaurie qui a composé en latin un traité de la sculpture, est l’auteur de la définition que j’ai citée, elle se trouve au Chap. VI, intitulé : De statuarum statu, molu & otio. Toute espèce de corps, dit-il, dont les extrémités ne sont pas contenues de toutes parts & balancées sur leur centre, doit nécessairement tomber & se précipiter.

La chaîne qui unit les connoissances humaines, joint ici la physique à la peinture, ensorte que le physicien qui examine la cause du mouvement des corps, & le peintre qui veut en représenter les justes effets, peuvent, pour quelques momens au moins, suivre la même route &, pour ainsi dire, voyager ensemble. On doit même remarquer que ces points de réunion des sciences, des arts & des connoissances de l’esprit, se montrent plus fréquens, lorsque ces mêmes connoissances tendent à une plus grande perfection. Cependant on pourroit observer (comme une espèce de contradiction à ce principe) que souvent la théorie perfectionnée a plutôt suivi que précédé les âges les plus brillans des beaux-arts, & qu’au moins elle n’a pas toujours produit les fruits qu’on sembleroit devoir en espérer ; mais il s’agit dans cet article d’expliquer le plus précisément qu’il est possible ce que l’on entend par équilibre dans l’art de peinture.

Le mot équilibre s’entend principalement des figures qui par elles-même ont du mouvement, tels que les hommes & les animaux.

Mais on se sert aussi de cette expression pour la composition d’un tableau, & je vais commencer par développer ce dernier sens. Dufresnoy, dans son poëme immortel de Arte Graphicâ, recommande cette partie, & voici comment il s’exprime :

Ses multis coustabit opus, paucis ve figuris,
Alters pars tabulæ vacuo ne frigide campo
Aut deserta siet, dum pluribus altera fermis
Fervida mole suâ supreman exurgit ad oram.
Sed tibi fic pofitis respondeat utarque rebus,
Ut si aliquid sursùm se parte atllit in unâ,
Sic aliquid parte ex aliâ consurgat & ambas
Æquiparet geminas cumulande æqualiter oras.


« Soit que vous employiez beaucoup de figures, ou que vous vous réduisiez à un petit nombre, qu’une partie du tableau ne paroisse point vuide, dépeuplée & froide, tandis que l’autre, enrichie d’une infinité d’objets, offre un champ trop rempli ; mais faites que toute votre ordonnance convienne tellement que si quelque corps s’élève dans un endroit, quelqu’autre la balance, enforte que votre composition présente un juste équilibre dans ses différentes parties. »

Cette traduction, qui peut paroître moins conforme à la lettre qu’elle ne l’est au sens, donne une idée de cet équilibre de composition dont Dufresnoy a voulu parler, & j’ai hasardé avec d’autant plus de plaisir d’expliquer sa pensée dans ce passage que la traduction qu’en donne de Piles présente des préceptes qui, loin d’être avoués par les artistes, sont absolument contraires aux principes de l’art, & aux effets de la nature. Je vais rapporter les termes dont se sert M. de Piles : « Que l’un des côtés du tableau ne demeure pas vuide, pendant que l’autre est rempli jusqu’au haut ; mais que l’on dispose si bien les choses, que si d’un côté le tableau est rempli, l’on prenne occasion de remplir l’autre, ensorte qu’ils paroissent en quelque façon égaux, soit qu’il y ait beaucoup de figures, ou qu’elles y soient en petit nombre ».

On apperçoit assez dans ces mots, en quelque façon, qui ne sont point dans le texte, que M. de Piles lui-même a senti qu’il falloit adoucir ce qu’il venoit d’énoncer : mais cet adoucissement ne suffit pas. Il n’est point du tout nécessaire de remplir un côté du tableau, parce qu’on a rempli l’autre, ni de faire en sorte qu’ils paroissent, en quelque façon même, égaux. Les loix de la composition sont fondées sur celles de la nature, & la nature, moins concertée, ne prend point pour nous plaire les soins qu’on prescrit ici à l artiste. Sur quoi donc sera fondé le précepte de Dufresnoy ? Que deviendra ce balancement de composition à l’aide duquel j’ai rendu son idée ? il naîtra naturellement d’un heureux choix des effets de la nature, qui non-seulement est permis aux peintres, mais qu’il faut même leur recommander ; il naître du rapprochement de certains objets que la nature ne présente pas assez éloignés les uns des autres, pour qu’on ne soit pas autorisé à les rassémbler & à les disposer à son avantage.

En effet il est assez rare que, dans un endroit enrichi, soit par les productions naturelles, soit par les beautés de l’art, soit par un concours d’êtres vivans, il se trouve dans l’espace que l’on peut choisir pour sujet d’un tableau (c’est à-dire dans celui que l’œil peut embrasser) un côté absolument dénué de toute espèce de richesses, tandis que l’autre en sera comblé. La