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ECO exprimer son sujet, & non pour faire de beaux contrastes, pour établir de beaux grouppes, pour étonner & séduire le spectateur par le faste ambitieux d’une scène théâtrale & le fracas d’une grande machine. Chez lui rien ne sent le théâtre, rien ne sent la disposition étudiée, rien n’offre l’appareil d’une richesse inutile ; c’est le sujet tel qu’il a dû se passer, ce sont les personnages nécessaires & rien de plus. Ses tons sont fins, ses teintes sont harmonieuses ; sa couleur n’est pas. appellante comme celle des écoles de Venise & de Flandre ; mais elle est attachante : elle est telle qu’il convient qu’elle soit pour laisser l’ame paisible, & la fixer sans distraction, sur des parties de l’art supérieures au coloris.

On peut voir sa prédication de Saint-Paul à Notre-Dame, & le tableau qu’il a peint à Saint-Gervais, & que de savans artistes ont comparé à ce que Rome a de plus beau ; mais il a sur-tout dévéloppé son génie dans les vingt-deux tableaux qu’il a peints pour le cloître des Chartreux de Paris, & dont le Roi a fait l’acquisition. Les contemporains assurent qu’il ne regardoit ces chefs-d’œuvre de l’art que comme des espèces d’esquisses ; ils doivent être placés aux premiers rangs entre les ouvrages qui font la gloire de l’école Françoise.

Si le Sueur eût vécu plus long-temps, si, comme le Brun, il eût été chargé des plus grands travaux de son siècle & de la direction de tous ceux qu’ordonnoit une Cour amie du luxe & des arts, l’école Françoise eût pris dès-lors, sans doute, un autre style, & une manière plus généralement approuvée. La noble beauté des têtes, la majesté simple des draperies, la sveltesse du dessin, la vérité des expressions, celle des attitudes, la naïveté de la disposition générale auroient formé le caractère de cette école : sur-tout le mensonge pompeux du style théâtral auroit dominé plus tard, ou n’auroit jamais osé se montrer : enfin on auroit vu dans Paris une image de Rome. Mais c’étoit le Brun qui distribuoit les ouvrages & les graces ; pour être employé ou récompensé, il falloit imiter sa manière ; & comme ses protégés n’étoient pas des le Brun, ils adoptèrent ses défauts en les exagérant, & prirent les vices qui avoisinoient ses beautés.

Nous nous étendrons peu sur l’ÉCOLE ALLEMANDE, peut-être improprement appellée école, puisque l’Allemagne offre plutôt des artistes isolés qu’une filiation d’artistes qu’on puisse faire remonter à un seul maître, ou du moins à un petit nombre de maîtres. Quelques peintres Allemands se sont distingués dans le temps où l’art, sorti de la barbarie de son berceau, commençoit à devenir florissant. Comme ils ne connoissoient ni l’antique, ni le petit nombre de chefs-d’œuvre que commençoit à produire l’Italie, ils n’eurent pour maître que la nature qu’ils copioient avec peu de choix, & ils conservèrent quelque chose de cette roideur qui forme le style gothique. C’est ce style que l’on marque ordinairement pour caractère de l’école allemande. Cela est vrai, si l’on ne considère que les premiers maîtres de cette école ; mais cela ne l’est plus si l’on parle des ouvrages de leurs successeurs, dont les uns ont été élèves de la Flandre & les autres de l’Italie. Si, par exemple, on veut comprendre dans cette école Mengs, ou même Dietrich, on ne trouvera rien en eux du caractère par lequel on veut la distinguer. Nous ne parlerons donc ici que des anciens peintres Allemands, dans lesquels on trouve ce style gothique que l’on donne pour caractère de l’école, & nous ne ferons qu’abreger ce qu’en a dit M. Descamps.

ALBERT DURER, né à Nuremberg en 1470, est le premier Allemand qui ait réformé le mauvais goût de sa patrie. Son pèe, habile orfevre, le destinoit à sa profession ; mais les inclinations du jeune Albert l’entraînoient vers la peinture & la gravure. Il reçut de ces deux arts des leçons de deux maîtres différens qui seroient également inconnus, si la célébrité de leur élève n’eût sauvé leurs noms de l’oubli.

Albert par la finesse & la netteté de son burin fit faire d’étonnans progrès à la gravure encore naissante, & ne put être que foiblement imité par Marc-Antoine, le graveur de Raphaël, qui le prit pour modèle & copia même quelques unes de ses estampes. Ce talent eût suffi à sa réputation, & c’est même celui qui a le plus contribué à la répandre au loin ; mais on ne peut lui refuser en même temps la gloire d’avoir été le restaurateur de la peinture en Allemagne. Son génie étoit fécond ? ses compositions variées, les pensées ingénieuses & sa couleur brillante ; quoiqu’il ait fait un grand nombre d’ouvrages, ils sont d’un fini précieux : mais comme il devoit tout à son génie, & qu’il ne pouvoit, dans son pays, voir que des tableaux inférieurs aux siens, il n’évita pas entièrement les défauts de ses prédécesseurs. On lui reproche de la roideur & de la sécheresse dans les contours, trop peu de choix & de noblesse dans les expressions, quoique d’ailleurs il y ait mis de la vérité, des plis cassés & beaucoup trop multipliés, l’ignorance du costume, celle de la perspective aërienne & de la dégradation des couleurs. Mais il avoit étudié & il observoit la perspective linéale ; il étoit savant dans l’architecture civile & militaire, & il en a laissé des traités. Il a aussi écrit sur les proportions du corps humain : son livre est un recueil de mesures prises sans choix sur un grand nombre de différens modèles, & il est peu utile, parce qu’on n’a besoin de mesurer que les belles proportions.