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ECO En cherchant le gracieux, l’agréable, ce qui doit plaire enfin, il devoit trouver l’ harmonie ; c’est aussi dans cette partie qu’il a excellé. Comme la délicatesse de son goût ne lui permettoit pas de souffrir de fortes oppositions, il falloit bien qu’il devint un grand maître dans cette partie qui n’est autre chose que l’art de passer d’un extrême à l’autre par des nuances intermédiaires qui les lient doucement entr’eux. Il fut harmonieux dans le dessin, en coupant par des lignes courbes les lignes droites qui formeroient des contours anguleux, & en rendant toujours son trait endoyant. De même, tant dans les lumières que dans les ombres, il plaça toujours entre les deux extrêmes un espace destiné à les unir & à servir de passage de l’un à l’autre. La délicatesse de ses organes lui avoit fait sentir mieux qu’à tout autre artiste qu’après une certaine tension les yeux ont besoin de repos : il eut donc soin de faire suivre une couleur franche & dominante par une demi-teinte, & de conduire, par une gradation insensible, l’œil du spectateur au même degré de tension d’où il étoit parti. Ainsi, dit Mengs, une musique agréable & mélodieuse arrache si doucement au sommeil que le réveil ressemble plutôt à un enchantement qu’à un sommeil interrompu.

Un goût délicat dans la couleur, une parfaite intelligence du clair-obscur, l’art d’unir le clair au clair, l’ombre à l’ombre ; celui de détacher les objets du fond, une harmonie enfin que personne na jamais surpassée ni même egalée, voila dans quelles parties jointes à la grace le Corrège est au-dessus de tous les autres peintres.

Les CARRACHES, Louis & les deux frères Augustin & Annibal ses cousins-germains, peuvent être regardes comme les pères de la seconde école Lombarde, qu’on distingue quelquefois par le nom d’ÉCOLE DE BOLOGNE. Ils furent les restaurateurs de l’art qui s’étoit obscurci dans l’Italie entière après y avoir jetté tant d’éclat. Tous trois étoient de Bologne, & leur naissance étoit obscur : le père d’Augustin & d’Annibal ètoit Tailleur. Tous trois différoient peu par leur âge : Louis naquit en 1555, Augustin en 1557, & Annibal en 1560.

Louis, comme le plus âgé, fut le maître des deux autres. Il avoit étudié les ouvrages du Titien & de Paul Véronèse à Venise, ceux d’André del Sarte, à Florence ; ceux du Corrège, à Parme ; ceux de Jules-Romain à Mantoue ; mais c’étoit sur-tout la manière du Corrège qu’il tâchoit d’imiter.Annibal se partagea entre le Corrège & le Titien ; Augustin, leur émule dans la peinture, avoit l’esprit cultivé par les lettres, & donnoit une partie de son tems à la poésie, à la musique, a la danse & aux exercices du corps, mais il se consacroit principalement à la gravure qu’il avoit apprise de Corneille Cort. Souvent ils travailloient tous les trois aux mêmes ouvrages ; & l’on admiroit que leurs mains parussent être conduites par un même esprit.

Ils établirent à Bologne une académie que leur zèle pour le progrès de l’art fit nommer d’abord l’academia degli Desiderosi, & qu’on appella dans la suite l’académie des Carraches, parce que la gloire que s’acquirent ces trois artistes ne permit pas de donner un nom plus illustre à un établissement dont ils étoient les auteurs. On y posoit le modèle, on y professoit la perspective & l’anatomie, on y donnoit des leçons sur les belles proportions de la nature, sur la meilleure. manière d’employer les couleurs, & sur les principes des ombres & des lumières. On y faisoit souvent des conférences, & non-seulement des artistes, mais des gens de lettres y proposoient, y éclaircissoient des difficultés relatives à l’art.

La réputation des Carraches ne resta pas renfermée dans la Lombardie ; elle s’étendit jusqu’à Rome, & le Cardinal Odoard Farnèse qui vouloit que la peinture ajoutât ses richesses à la magnificence de son palais, crut Annibal digne de le décorer. Il le manda, & le peintre de Bologne, qui n’avoit pu prendre encore qu’une connoissance imparfaite des chefs-d’œuvre de l’antiquité & de ceux de Raphaël, faisit avec joie cette occasion d’acquérir des connoissances nouvelles, en exerçant celles que déjà il avoit acquises. Appellé à Rome comme un grand maître, il ne crut pas se dégrader en commençant par y reprendre le personnage d’étudiant, & il partagea ses journées entre les travaux qui lui étoient confiés & l’étude des antiques & des plus beaux ouvrages des modernes.

Dès-lors il changea sa manière. Il avoit jusques là regardé comme les premières parties de l’art la couleur du Titien & la suavité du Corrège ; il reconnut que ces parties si attrayantes étoient cependant subordonnées à deux autres plus nobles ; la représentation de l’ame & celle de la beauté. C’est en faisant de ces deux parties les premiers objets de ses travaux, que le peintre élève son art à n’être plus seulement une imitation de la nature extérieure ; mais à donner une idée céleste de la nature de l’homme par la beauté de ses formes, & à fixer en quelque sorte sur la toile, par l’expression, le souffle de vie qu’il a reçu de son auteur. Il s’apperçut que le soin de représenter seulement la nature colorée, appartient à des genres inférieurs de l’art, & que la destination du premier genre, celui de l’histoire, est sur-tout de représenter la nature animée. Il sentit que les genres inférieurs doivent emprunter leurs premiers charmes de la couleur, parce qu’ils sont