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quefois, comme Michel-Ange, il exagéroit & chargeoit le dessin, c’étoit plutôt pour montrer la nature tendre & charnue, que pour la rendre, comme Michel-Ange, puissante & musculeuse. Le sentiment de la couleur, plutôt qu’un principe de composition, l’engageoit à faire sur-tout paroître les plus belles parties, parce que ce sont celles qui offrent les plus grandes & les plus belles masses. Il a montré du goût dans les représentations des femmes & des enfans. Il donnoit aux femmes des attitudes naïves & négligées qui ne sont pas la grace, mais quelque chose qui y ressemble. Il savoit donner à leurs coeffures & à leurs ajustemens une elégence pittoresque.

Presqu’entiérement livré à la simple imitation, il n’a pas mis plus de choix dans la partie du clair-obscur que dans celle du dessin, On ne peur cependant lui reprocher d’avoir été très-foible dans cette partie, parce que cherchant à imiter les couleurs de la nature, il fut obligé pour y parvenir d’observer les dégrés de la lumiere. Comme il portoit au plus haut point l’imitation des couleurs naturelles, il n’a pu être tout-à-fait ignorant dans le clair-obscur : mais il faut cependant avouer que ce n’est pas dans l’intelligence de cette partie de l’art qu’il faut chercher le principe des beautés qu’offrent ses ouvrages ; ce principe réside dans l’entente des couleurs propres & des couleurs locales, & il porta cette entente au plus haut dégré. On peut quelquefois lui reprocher de la dureté dans son clair-obscur, & il étoit conduit à cette dureté par l’affectation de chercher à produire de grands effets par les contrastes.

Les peintres de l’école Florentine & de l’école Romaine, peignoient le plus ordinairement à fresque ou en détrempe, & en peignant, au lieu de prendre la nature, ils n’avoient sous les yeux que leurs cartons. Le Titien peignit d’abord à l’huile & d’après nature, & cette pratique, jointe à ses heureuses dispositions, devoit lui acquérir une couleur plus conforme à la vérité. Il eut encore un autre avantage pour devenir coloriste, celui de faire souvent des portraits. Ce genre l’astreignoit à imiter les couleurs de la nature dans les carnations & les draperies. Comme il étoit obligé de copier les habits des personnes qu’il représentoit, il apprit à varier sa couleur & sa touche, pour rendre la variété des étoffes : enfin, il peignit le paysage, & il en étudioit aussi la couleur d’après nature. Il a résulté de cette même étude que le Poussin, qui assurément n’est pas placé dans la classe des grands coloristes, a cependant donné une bonne couleur aux paysages & aux fonds de ses tableaux.

« Comme le Titien s’apperçut, dit Mengs, que les objets qui sont beaux dan ; la nature sont souvent un mauvais effet dans la pein-


ture, il chercha à parvenir au choix dans l’imitation de la vérité, & il remarqua qu’il, y a des objets dont les couleurs locales sont très-belles, mais qui sont dégradées par les reflets, par la porosité des corps, par les différentes teintes de la lumiere, &c. Il vit aussi que, dans chaque objet, il y a une infinité de demi-teintes, ce qui le conduisit à la connoissance de l’harmonie. Enfin, il observa que, dans la nature, chaque objet offre un accord particulier de transparence, d’opacité, de rudesse & de poli, & que tous ces objets différent dans le dégré de leurs teintes & de leurs ombres. Ce fut dans cette diversité qu’il chercha la perfection de son art. Dans la suite, il prit, dans chaque partie, le plus pour le tout ; c’est-à-dire, que d’une carnation qui avoit beaucoup de demi-teintes, il ne formoit qu’une seule demi-teinte, & qu’il n’employoit presqu’aucune demi-teinte, dans celle où il y en avoit peu. Par ce moyen, il parvint à posséder un coloris supérieurement beau, & c’est dans cette partie qu’il a été le plus grand maître & qu’il faut l’imiter. Par l’étude de la distribution des principales couleurs, il acquit la connoissance des principales masses, ainsi que Raphaël y étoit parvenu par le dessin, & le Correge par le clair-obscur. »

Le Titien a mis en général peu d’expression dans ses tableaux, & il y a même quelquefois introduit des portraits, ce qui en augmente la froideur ; car s’il est vrai que les têtes doivent être étudiées d’après nature, même dans les tableaux d’histoire, il est vrai aussi qu’elles ne doivent pas présenter une nature individuelle, mais une nature générale & idéale : il faut qu’elles aient toute la vérité de la nature, & il ne faut pas cependant qu’elles ressemblent à des gens que nous pouvons connoitre. Le peintre a manqué une partie de l’effet qu’il doit produire, si quand il nous réprésente Achille, Hector, César, nous pouvons dire : je l’ai vu quelque part. Nous ne pourrons nous pénétres pour des gens de notre connoissance de ce respect que nous imposent les grands personnages de l’antiquité.

Le Titien fut d’abord symmétrique dans sa composition. C’étoit, comme nous l’avons dit en parlant de Michel-Ange, la méthode de son tems. Sa seconde maniere a été plus variée, plus libre : mais, quoiqu’il ait quelquefois bien compose, on ne peut pas dire qu’il si soit fait des principes de composition : il semble, dans toutes les parties, n’avoir fait que suivre la nature, sans avoir eu recours à l’art.

« Le Titien, ajoute Mengs, n’a pas montré beaucoup d’idéal dans son dessin. Dans le clair-obscur, il en possédoit assez pour bien concevoir la nature, mais il n’en a pas eu