Page:Encyclopédie méthodique - Beaux-Arts, T01.djvu/306

Cette page n’a pas encore été corrigée
COU COU 165

Ensuite comparez seulement école à école, & l’un des chefs-d’œuvre de l’école Venitienne à un chef-d’œuvre de l’école Flamande, vous verrez deux tableaux d’une belle couleur, mais vous reconnoîtrez aussi que la couleur de ces deux tableaux porte sur des principes tout-à-fait différens. Quelle est celle des deux écoles qui nous représente le coloris de la nature ? Mais puisqu’aucun des artistes de ces écoles n’a eu la même couleur qu’un autre, quel est celui de tant de coloristes qui a rendu parfaitement la vérité ? Tous n’ont fait que mentir d’une manière séduisante, & ils doivent leur gloire au plaisir que nous cause cette innocente séduction.

Comme tous ces artistes ont différé entre eux avec un succès à-peu-près égal, on trouvera dans la manière de chacun d’eux des leçons différentes qui auront leur utilité. Mais le peintre d’histoire, qui doit principalement attendre ses succès de la haute poésie de son art, consacrera-t-il une grande partie de ses études à penétrer l’adresse, la subtilité, les prestiges dont les coloristes ont appuyé leurs mensonges ?

Je n’ai pas le droit de répondre à cette question. Je rapporterai seulement quelques réflexions d’un artiste célèbre, M. Reynolds.

Entrer dans les détails des couleurs, copier minucieusement des étoffes, c’est un soin qui caractérise, suivent lui, un genre inférieur à l’histoire. Comme les figures du peintre historien ne sont pas les portraits de tel ou tel homme, ses draperies ne sont pas des copies de telle ou telle étoffe : ce ne sont pas des étoffes de soie, de coton, de laine, ou de lin ; ce sont des draperies & rien autre chose. Une grande partie de son art consiste à en bien disposer les plis. Copier une étoffe telle qu’ellé est sortie d’une manufacture, c’est une opération mécanique qui ne demande pas de génie & qui me suppose qu’un goût subalterne. Mais il faut un grand talent, une étude profonde pour disposer une draperie de manière que les plis correspondent bien les uns aux autres, & se suivent facilement & avec une négligence si ressemblante à la nature que cet effet semble celui du hazard, que la figure soit vêtue sans qu’aucune de ses principales parties soit incertaine, que tous les plis concourent à exprimer les mouvemens & les formes du nud.

Carle Maratte pensoit que bien drapper étoit encore plus difficile que bien dessiner la figure, & que c’étoit un art dont il étoit moins aisé de donner des leçons, parce qu’on ne pouvoit en démontrer les règles avec la même exactitude.

Les trois grandes écoles Italiennes, celles de Rome, de Florence & de Bologne, ont conservé la simplicité dans les draperies. Cette simplicité ma-


jestueuse a été adoptée par les plus grands maîtres de l’école Françoise, le Poussin, le Sueur, & le Brun. Les écoles de Venise, de Flandre, s’en sont écartées pour surprendre l’admiration par un style plus brillant, mais inférieur. Elles avoient besoin de cet artifice pour compenser ce qui leur manquoit des plus grandes parties de l’art. Leur principal objet étoit l’élégance : elles étoient plus curieuses d’éblouir que de rechercher la beauté parfaite, de sonder les affections de l’ame, les porter sur la toile & les exciter dans les spectateurs. Leurs raffinemens nuisoient au sublime qui doit soutenir l’épopée pittoresque. La grande manière a une sévérité peu compatible avec ces affeteries ; elle agit sur l’ame ; l’autre manière n’a d’action que sur le sens de la vue.

Les écoles qui s’occupent à parer la nature, au lieu de la montrer dans sa noblesse simple & négligée, qui cherchent plus à enrichir leurs figures qu’à leur donner la beauté & à peindre le caractère, se distinguent plus par l’abondance que par le choix, par le luxe que par le jugement. Elles employent le langage de la peinture pour montrer qu’elles savent bien parler, & non pour dire de grandes choses. Comment comparer aux sublimes affections, aux conceptions profondes d’un Raphaël, d’un Poussin, d’un le Sueur, à la vérité des expressions qui donnent tant de prix à leurs chefs-d’œuvre, au beau choix qu’ils ont fait de la nature, à l’art qu’ils ont eu de l’embellir encore, la représentation de beaux satins, de beaux velours, de riches broderies ; opération qui distingue ce qu’on appelle les peintres de genre ? Qui pourra préférer des contrastes violeras dans les figures, un clair-obscur affecté, au repos qui règne dans les tableaux des plus grands maîtres, qui se communique à l’esprit du spectateur, & lui laisse la liberté nécessaire pour s’occuper des plus grandes beautés de l’art ? L’ame d’un Raphaël, la fierté d’un Michel-Ange, la sagesse d’un Poussin, l’emporteront toujours sur le brillant d’une belle palette. N’abandonnons pas de chastes beautés pour les parures & le fard d’une courtisanne.

La qualité prééminente de l’école Vénitienne est due à l’habitude qu’avoient les maîtres de cette école, de faire des portraits & convient en effet plus particulièrement aux peintres de portraits qu’aux peintres d’histoire. L’art d’imiter de riches étoffés entre comme partie nécessaire dans le talent du peintre de portraits, parce qu’il doit représenter avec leurs habits, des personnes richement vêtues.

Mais la perfection ne résulteroit-elle pas d’un accord de la beauté des ouvrages romains, avec l’éclat des ouvrages flamands ou vénitiens ? C’est risquer d’amener la décadence de l’art que de proposer pour sa perfection des qualités contradictoires. En cherchant à