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leur propre. Ils doivent être peints du ton que leur donne la nature, qui ne pousse pas tellement la lumière au blanc, ni l’ombre au noir, qu’on ne puisse toujours distinguer cette couleur. C’est ce que n’ont pas observé les peintres de l’école Romaine & leurs imitateurs.

Non-seulement une figure a sa couleur propre, mais chacune de ses parties a aussi la sienne. Des teintes différentes doivent colorer les parties exposées au soleil, au hâle, aux froissements, aux effets d’une transpiration plus abondante. Certaines parties sont revêtues d’une peau plus fine, d’autres d’une peau plus épaisse ; la graisse n’est pas répandue par-tout avec la même abondance ; le sang ne se porte pas par-tout avec la même force : toutes ces variétés en occasionnent dans la couleur & doivent être observées par l’artiste.

Plusieurs objets voisins, plusieurs objets grouppés ensemble, se mirent en quelque sorte les uns dans les autres, se reflettent mutuellement & produisent des nuances plus belles que la couleur propre de ces objets en particulier. C’est ce qu’un nomme couleur réfléchie. De deux tons réfléchis, le plus éclatant communique de sa nuance plus qu’il ne reçoit. Une étoffe jaune prête aux plus belles chairs un ton doré sans rien recevoir nuance,

La couleur propre, c’est-à-dire, celle qui appartient à chaque objet, est affoiblie dans les corps éloignés de nôtre vue par l’air intermédiaire qui les enveloppe. Nous l’avons considéré seulement comme un corps, en parlant du clair-obscur : nous devons en parlant de la couleur, le considérer comme un corps qui a sa couleur propre, sa teinte plus ou moins azurée suivant que sa masse a plus ou moins d’épaisseur. Il faut donc teindre de cette couleur de l’air les corps qui en sont enveloppés, & rendre cette couleur d’autant plus sensible qu’ils sont dans un plus grand éloignement. C’est ce qu’il faudroit convenir d’appeller la couleur locale, puisque c’est la couleur que prend chaque objet par le lieu qu’il occupe à une distance plus ou moins grande du spectateur. Il faut convenir que c’est un défaut de précision dans la langue de l’art, d’avoir confondu lacouleur locale avec la couleur propre, celle qui appartient aux objets & celle qu’ils doivent à la distance où ils sont placés. Pour que les idées soient nettes, il faut que les expressions soient précises, & que chaque idée ait son nom qui n’appartienne pas à une autre idée.

L’exactitude de l’imitation ne consiste pas toujours à donner à la couleur locale la nuance juste de la nature, mais à paroître la lui donner, & à imiter l’effet de la nature par l’artifice des oppositions. En général la peinture est un mensonge adroit ; elle est vraie quand elle ment assez bien pour sembler dire la vérité.

Comme le ton le plus vif absorbe celui qui l’est moins, ainsi qu’on le remarque dans les reflets, la lumière absorbe en quelque forte la couleur des objets & leur prête à tous une nuance presqu’égale. Conduits par cette observation, de grands coloristes ont imaginé l’emploi des couleurs changeantes, qui, dans les premiers clairs, se rapprochent du ton de la lumière qui les frappe. Ce rapport de nuances dans les jours, n’est pas moins essentiel que l’uniformité des teintes dans les ombres ; comme l’ombre conserve la teinte de l’obscurité, ce qui est éclairé porte celle de la lumiére. Un ton vermeil règnera donc sur un tableau éclairé par l’aurore, une couleur dorée témoignera la présence du soleil, une nuance argentée fera connoître que c’est la lune qui éclaire la scène, des lumiéres rouges seront communiquées par la clarté d’un flambeau.

Les matériaux colorans, qu’on appelle aussi couleurs, ne s’employent guere par les artistes tels que la nature les produit, ou qu’ils ont résulté de diverses opérations chymiques. L’emploi de ces couleurs sans mélange répand de la crudité, à moins qu’elles ne soient nuancées avec le plus grand art. La vive enluminure d’un beau rouge, d’un beau jaune, ne charme que les regards du peuple : c’est à l’artifice des couleurs rompues, c’est-à-dire mélangées, que l’art doit sa séduction.

Les couleurs brillantes ne peuvent donc s’employer que dans les masses de lumières : encore exigent-elles des ménagemens judicieux. Elles sont exclues des demi-teintes, des ombres & sur-tout des reflets. On n’y doit employer que les couleurs rompues, qui, dans la langue des atteliers se nomment couleurs sans couleurs. On leur a donné ce nom, parceque, dit D’André-Bardon, elles ne doivent pas être formées de deux teintes entières, capables de produire une couleur capitale, quoique formées de deux tons rompus l’un par l’autre.

De ces mélanges résultent les couleurs tendres & les couleurs fières.

Les couleurs tendres sont formées des couleurs les plus douces & les plus amies, c’est-à-dire de celles qui ont entre elles le plus parfait accord. Les couleurs fières sont produites du mélange de couleurs fortes & quelquefois discordantes, & produisent des nuances vigoureuses. Lescouleurs tendres se réservent pour les plans reculés, les couleurs vigoureuses ont leur place aux premiers plans. Les unes & les autres doivent être si bien unies, qu’elles ne produisent ensemble qu’une nuance générale qui forme l’harmonie.

Les couleurs transparentes sont ainsi nommées parce qu’elles ouvrent un passage à la lumière,


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