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pètent les uns aux autres : mais bien des difficultés se représentent à ceux qui veulent les mettre en pratique.

S’il existoit une classe de juges doués d’une intelligence étendue, & libres de préventions, de préjugés, d’affections personnelles, les auteurs & les artistes n’auroient aucun prétexte pour refuser de se soumettre à leur jugement, & de recevoir d’eux les avis dont ils ont tous besoin ; alors ces avis se trouveroient incontestablement bons, & ceux qui ne s’y soumettroient pas seroient inexcusables. Mais ces conseillers parfaits n’existent guères ; ils sont même si rares que, sur-tout relativement à certains arts, on peut généralement les regarder comme des êtres de raison. Mille gens sont toujours préts à donner leur avis, même quand on ne les leur demande pas. On n’en rencontre pas moins qui offrent d’en donner à tous ceux qui en demandent ; mais ce qu’on trouve dans tous ces hommes si prodigues de conseils, c’est communément ou peu de lumiére ou peu de sincérité, & sur-tout le défaut de cette réunion de connoissances si nécessaire à ceux qui exercent les arts, lorsqu’ils consultent dans le dessein d’être éclairés.

Il faut observe que chacun des Beaux-Arts exige de ceux qui veulent juger de ses productions, des connoissances générales & particulières ; car les Arts ont des élémens communs & des élémens propres à chacun d’eux : il y en a même dont, sur-tout, les élémens particuliers ne sont guère connus que de ceux qui les exercent, & le sont même imparfaitement de plusieurs d’entre eux. Comment donc espérer de trouver des conseillers utiles parmi ceux qui ne les exercent pas ? C’est cependant cette classe immense qui aime le plus à être consultée. Quels seront ceux que consulteront l’Architecte & le Compositeur de Musique ? Quels seront ceux que consulteront avec confiance & résignation le Sculpteur & le Peintre ? Cette question seroit moins embarrassante à l’égard des ouvrages d’esprit & de goût, parce que dans ces ouvrages, le méchanisme étant beaucoup plus connu, le nombre de ceux à qui l’on peut demander conseil, & dont on peut en espérer d’utiles, est beaucoup plus grand. Ainsi le Poëte & l’Orateur peuvent soumettre leurs productions à un plus grand nombre de personnes que le Peintre & le Statuaire, & recueillir par ce moyen des avis plus utiles. Mais les Artistes n’auront-ils donc aucuns moyens de recueillir des avis & d’obtenir des conseils profitables ? Qu’ils se gardent bien de le penser. S’ils sont de bonne foi, s’ils desirent sincèrement d’être éclairés par de sages avis, ils trouveront des moyens d’en obtenir, en employant une sorte d’art pour se les procucurer. Je crois utile de les mettre sur la voie, en leur soumettant mes idées sur cet objet.


Je pense que ce n’est guère que partiellement qu’ils pourront se procurer les conseils les plus utiles. La classe dont l’Artiste doit les espérer, est celle dont il fait partie. Mais les inconvéniens qu’il y trouvera le plus fréquemment, sont le défaut de sincérité des Artistes qu’il consultera, & le défaut de lumières assez étendues pour réunir des idées bien réfléchies sur toutes les parties de l’Art. Les artistes qui aspirent à être admis dans les sociétés académiques, n’éprouvent que trop souvent le défaut de sincérité dont je parle. Trop souvent les aspirans qui montrent leurs ouvrages à plusieurs artistes, avant de les exposer au jugement définitif par la voie du scrutin académique, sont trompés par une réticence qui leur est funeste. Ceux qui se la permettent, loin de s’en faire un scrupule, la regardent ordinairement comme une politesse non-seulement excusable, mais autorisée par l’usage & par la crainte de blesser l’amour-propre.

Pour vaincre cet obstacle, il faut demander avec un empressement & une franchise dont on ne puisse douter, des conseils sur la partie de son ouvrage dont l’artiste qu’on consulte doit être le plus instruit. Par exemple, si c’est un artiste dont la supériorité consiste dans la correction, le consultant, en le pressant de lui donner spécialement son avis sur cette partie ; doit espérer de lui plus de sincérité ; parce que flattant son amour-propre par un endroit sensible, il l’engage à une attention particulière dont le résultat est presque toujours un conseil ou un jugement de bonne foi. D’ailleurs, l’homme, dont la supériorité est bien reconnue dans une partie, craint moins d’humilier celui qui le consulte, en lui montrant les fautes qu’il peut avoir commises contre cette même partie. Il n’est pas d’Artistes qui réunissent au même dégré toutes les parties d’un art aussi étendu que la peinture ; mais il est aussi peu d’Artistes distingués, qui n’aient de la supériorité dans quelqu’une des parties qui constituent son art. Si vous desirez donc sincèrement des conseils & des observations profitables, ne demandez pas au coloriste ce qu’il pense de la correction de vos figures, au dessinateur ce qu’il pense de la composition ou de l’effet : mais demandez à chacun d’eux ce qu’il pense en examinant votre ouvrage, de la partie qu’il connoît & pratique le mieux.

Ce seroit cependant un manque de bienséance de se borner uniquement à cette demande, parce que le silence sur les autres parties pourroit faire penser, ou qu’on est trop satisfait de soi-même, ou qu’on ne croit pas celui que l’on consulte assez habile pour desirer ses avis ; mais attachez-vous, comme je l’ai dit, à la partie dans laquelle il peut vous éclairer le plus véritablement ; & en lui soumettant aussi les


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