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CON CON 127

le soleil ; & ce qui est admirable & qui n’est guère qu’à lui, c’est à travers une vapeur, un brouillard léger que cet astre lumineux n’a pas encore tout-à-fait dissipé, & qui en modérant la vivacité de sa lumière, conserve dans le tableau une fraîcheur délicieuse.

Mais pour ne point quitter les Peintres d’Histoire, celui de tous qui paroît avoir connu le mieux les effets de la lumière d’un soleil naissant & en avoir fait une application plus juste & plus judicieuse dans ses tableaux, c’est, sans contredit, M. Poussin. Je crois l’avoir suffisamment établi, lorsque je vous ai fait la description & l’analyse de son excellent tableau de la guérison des Aveugles. Aussi après l’étude de la Nature même, celle des ouvrages de cet habile homme est, à mon avis, la plus utile & la plus nécessaire. Je voudrois qu’on s’accoûtumât à penser comme lui, qu’on apprît à son école à éclairer ses tableaux avec dessein, & qu’à son imitation, on réservât la lumière d’un soleil levant pour des sujets susceptibles de cette même joie, qu’inspire l’arrivée du soleil, tels que le sujet de Moyse sauvé, de S. Jean baptisant dans les eaux du Jourdain, exemples sensibles, que j’emprunte avec plaisir des propres ouvrages de ce grand Peintre & qui vous conduiront, si vous en avez besoin, à la découverte d’une infinité d’autres sujets de même caractère.

Le Matin

Il arrive assez fréquemment qu’avant que le Soleil parvienne au milieu de sa course, le ciel se trouble & se charge de nuages épais qui se résolvent bientôt en pluie, que les vents grondent & qu’ils excitent des orages & des tempêtes. Le Soleil se retire alors ; l’air épaissi & le ciel couvert empêchent ses rayons de percer, & les objets qu’il auroit dû éclairer, demeurant dans une ombre presque totale, sont prêts à se confondre & prennent un ton morne & lugubre. Ce dérangement dans le ciel, que je place le matin, quoique je n’ignore pas que le même accident ne puisse arriver dans toute autre partie de la journée, est trés-difficile à bien exprimer. Ce n’est pas le tems qui offre de plus agréables effets ; mais comme rien de tout ce que la nature présente ne doit être rejetté, ni ne doit être indifférent à un Peintre qui aime son Art, un tel Artiste ne doit pas négliger de se rendre familiers, par une contemplation méditée, les accidents que souffre alors la lumière ; il aura assez d’occasions d’en faire usage ; car s’il avoit à traiter quelque sujet qui tendît à la tristesse, il seroit aussi absurde que ridicule de choisir un tems pur & serein ; l’un contrarieroit l’autre, & vous pouvez vous rappeller les éloges que j’ai cru devoir donner au Carrache, pour avoir supposé un ciel couvert & ténébreux dans la représentation de son Martyre de Saint Étienne, qui, au moyen de cet incident, en est devenue plus touchante. Soyez persuadés que tout sujet destiné à inspirer de l’horreur, ou à maintenir dans l’affliction, doit être, autant qu’il est possible, privé d’une lumière vive & brillante, il fera plus d’impression sur le spectateur & ira plus sûrement à son but.

Le Midi

À l’heure de midi, le Soleil est dans sa plus grande force & brille de tout son éclat ; les yeux éblouis n’en peuvent supporter la vue ; & puisque cet astre tout de feu se refuse à nos regards dans la nature, un Peintre pourroit-il sans témérité oser entreprendre de le repésenter en cet état dans un tableau ? Non, il y auroit de l’imprudence. J’ajouterai qu’il faut bien se garder de rien peindre qu’on puisse arguer de faux, & certainement il n’y a aucune couleur sur la palette qui puisse rendre la plus grande splendeur de l’astre du jour. Le meilleur est d’éviter ce qui est au-dessus de ses facultés, & j’applaudis à un Artiste intelligent qui, obligé de traiter un événement qui se sera passé à cette heure du jour, & ne voulant point blesser le costume, auroit la sage précaution de cacher dans son tableau le soleil, qui se contenteroit d’indiquer cet astre par quelques rayons échappés, & qui interposeroit au-devant, sans qu’il y parût de l’affectation, des nuages, des arbres, des montagnes, des fabriques ou d’autres semblables corps. Indépendamment de cet expédient, fruit de l’Art, la Nature en offre un autre qui détermine suffisamment le milieu du jour, s’il est nécessaire de le faire sentir dans un ouvrage ; car à cette heure, le soleil tombant à plomb sur les corps, fait qu’ils ne portent point d’ombres sur eux-mêmes ; & si l’on y prête attention, la grande vivacité de la lumière fait encore que les couleurs même les plus ardentes ont pour lors beaucoup moins d’éclat que dans les heures où la lumière est plus tempérée.

Aussi un Peintre, qui doit avoir pour règle constante de ne jamais s’écarter de celles que lui prescrit la Nature, seroit-il fort répréhensible, si la lumière de l’heure de midi lui ayant été donnée pour celle qui doit éclairer un de ses tableaux, il employoit dans les figures & dans les autres objets qu’il feroit servir à sa composition, des couleurs entières & tranchantes, qui non-seulement voudroient le disputer à celle du soleil, mais qui sembleroient même avoir dessein de l’éclipser. S’il a véritablement à cœur de se rendre un parfait imitateur de l’effet naturel & laisser briller la lumière que donne le Soleil, ses couleurs doivent être rompues, sans quoi il peut être assuré que les objets sortiront du ton qui leur appartient : & c’est ici une des grandes difficultés de la Peinture, d’autant plus que le Peintre manque de secours, le soleil de midi ne fournissant