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se doit passer dans un Temple, dans un Palais ou tout auprès. Elle ne vous présente pas à la vérité ces édifices tout juste comme il vous les faut ; mais elle vous offre des moyens pour suppléer à ce qui manque, & ces moyens sont les plus simples du monde.

Par exemple, la scène de votre tableau suppose-t-elle le dedans d’un Temple, entrez dans une Eglise ancienne ou moderne, vieille ou neuve, suivant que l’exigera votre sujet. Examinez bien ce qu’y produiront les personnes que vous y trouverez, si elles font masses colorées contre l’Architecture, ou quel autre effet elles y feront ; quel est celui qu’elles feront par rapport au sol ou au pavé de l’Eglise, suivant qu’il se trouvera éclairé par les lumières qui entrent par les croisées. Faites bien attention à la lueur qui environne ces points de lumière, à la façon dont la lumière se dégrade, aux ombres de l’Architecture, par rapport à celles des figures, à ce que les différentes couleurs des habillemens font les unes contre les autres. Vous verrez presque toujours toutes vos figures colorées contre les masses de l’Architecture. Elles se détacheront sur le pavé en brun, & auront sans équivoque l’air d’être debout sur leur plan, & vous ne tomberez pas dans le défaut assez commun de les faire paroître couchées par leur lumière. La nature vous fera voir qu’il est faux que des pieds bien éclairés se puissent trouver sur un pavé ou sur une terrasse fort brune : quand même ils poseroient sur une étoffe noire, elle feroit masse claire avec eux, & ils n’en seroient détachés que par leur propre couleur, mais avec cet accord que donne la lumière qui, frappant sur ces pieds, frapperoit également sur l’endroit où ils seroient posés.

Ce dernier principe fait encore bien le procès à ceux de nos jeunes Peintres qui cherchent à jetter de la poudre aux yeux par des effets de lumière hasardés, quoiqu’impossibles. Nous pouvons, je crois, mettre de ce nombre ceux qui dans une simple demie figure, pour faire valoir un bout de tête, & faire briller un coup de clair sur le front & sur le menton, couvrent tout le reste de leur tableau d’un noir général. Rembrandt, quand il donnoit dans ces sortes d’effets, employoit un art infini pour les autoriser à peu prés, ou du moins en rachetoit l’abus par de grandes beautés. Ceux qui les tentent sans avoir un certain fonds de ces principes, donnent dans un faux insoutenable. Ils tirent leur tête en avant par sa lumière, & par leur grand noir enfoncent les épaules & le reste du corps au dedans & à une distance prodigieuse. Si le jour donne sur la tête en plein, il est difficile de présumer que le buste puisse être dans l’ombre ; mais en le supposant même privé de lumière, il ne sauroit être d’un noir si outré, & doit nécessairement être de reflet ; sinon il doit faire masse


claire avec la tête, sauf à se ménager par les couleurs locales, les oppositions par lesquelles on la veut faire briller. Il n’y a que ces deux moyens pour la faire tenir ensemble avec le corps.

Lorsque j’ai dit que vos figures tiendront presque toujours leurs masses colorées contre vos fonds d’Architecture, c’est en raisonnant sur le pied de la pratique ordinaire, selon laquelle, comme vous savez, tout fonds d’Architecture est peint de couleur de pierre neuve, fût-il composé de fabriques à demi dégradées & ruines. Si vous voulez avoir des figures qui soient opposées en clair sur leurs fonds, il faut aller voir de vieilles Architectures brunes, verdâtres, ou bleuâtres, elles vous guideront pour cette intelligence, comme feront les neuves pour l’intelligence opposée ; les clairs de vos figures soit ceux des chairs, soit ceux des draperies, se détacheront par leurs couleurs, & les ombres par leur force. Quand une fois vous aurez donné au tout un bon ton de couleur, tenant bien sa masse, vous la travaillerez comme vous voudrez, & pourvu que vous n’y fassiez pas de petites parties, votre effet est sûr.

Ainsi que je viens de vous l’insinuer, ces principes vont à tout ; & si vous voulez bien être un peu soigneux à les appliquer, vous y trouverez partout votre compte. Si vous étudiez un fonds de paysage, faites la même chose que je viens de vous indiquer, pour le fonds d’Architecture. Considérez d’après le naturel, l’effet que vos figures feront contre les arbres & contre les lointains ; vous y verrez des couleurs que l’on ne peut rendre par souvenir, parce que c’est la lumière qui donne le ton vrai à tous les plans en général & à tous les objets en particulier.

En vous faisant une règle de cette conduite, vous éviterez bien des fautes où la simple pratique jette souvent. Par exemple, j’ai remarqué dans bien des tableaux de bons Maîtres, des objets éclairés contre un ciel clair, quoique rien n’indiquât que ces objets fussent éclairés par un coup de soleil. Si ces Maîtres avoient consulté la nature, elle leur auroit fait voir que cet effet est tout à fait contraire à ceux qu’elle produit, elle leur auroit montré que tout objet, fût-il blanc, tient sa masse colorée contre le ciel, pour ne pas dire brune, quand il n’est pas éclairé du soleil, & que ce n’est que quand il l’est que les coups de lumière sont clairs contre le ciel, & d’un clair toujours coloré. Les ombres que porte toujours cet objet, deviennent en même tems plus vaporeuses, à mesure qu’il est plus élevé ; & plus fortes, à mesure qu’il est plus proche de la terre.

Dans les objets qui ne sont éclairés que du jour naturel, c’est-à-dire, sans effet du soleil, comme par exemple, dans une figure étant debout, le haut est toujours plus fort dans les om-


Beaux-Arts. Tome I. Q