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la Nation, les Arts, & à constater l’état des lumières d’un siècle éclairé. Il seroit sur-tout nécessaire, dans ce grand ouvrage, de s’appliquer à rendre les idées parfaitement claires, en expliquant toujours le plus intelligiblement possible, le sens principal & les sens particuliers des termes de l’Art. Il s’agiroit de bien distinguer dans les parties qui regardent la pratique, ce qui est positif, ce qui peut se démontrer & s’exécuter même par des méthodes sûres, d’avec ce qui comporte des élémens trop variés, trop nombreux pour être calculés d’une manière rigoureusement exacte.

Un des premiers fondemens de cet ouvrage seroit donc, par exemple, d’excellens traités de Perspective, rédigés d’après ce qui est le moins compliqué, jusqu’aux objets qui le sont le plus. Il faudroit que les problêmes & leurs démonstrations fussent rendus de manière que l’Elève pût les comprendre sans une trop grande contention, & le Maître y avoir recours dans les ouvrages peu ordinaires & compliqués. La Perspective, comprenant les loix que suit inaltérablement la nature dans l’apparence visible de tous les objets que peut imiter l’Artiste, il est certain que cette connoissance est dans l’ordre théorique, la première, & l’une des plus essentielles. Les loix de la Nature, comme je l’ai dit, sont fixes à cet égard ; ainsi les objets & les plans de ces objets, ainsi que la place où on les suppose, étant une fois établis, leurs apparences, telles qu’elles doivent s’offrir à la vue d’après un point donné, sont inaltérablement fixées, & cette partie scientifique peut être rigoureusement démontrée. Comme il existe déjà un assez grand nombre d’ouvrages, il ne s’agiroit que de rassembler en un seul ce qui se trouve de plus clair, de plus méthodique, de moins compliqué, de moins embarrassé par les calculs & par les termes & figures géométriques, parce que ce seroit à des Peintres, & non à des Géomètres que l’ouvrage classique seroit destiné.

La Perspective aërienne sembleroit, par la dénomination, devoir accompagner la Perspective qu’on appelle linéale ; aussi les joint-on souvent ensemble dans les traités de Peinture ; cependant je lui destinerois une autre place, parce que, si les problêmes que cette perspective offre à résoudre peuvent bien être regardés comme étant de nature à être démontrés, cependant les élémens qui y entrent sont trop nombreux, trop variés, trop peu fixes & sensibles, de manière qu’il faudroit un tems considrablement trop grand, & une sagacité peu commune, pour les soumettre à des règles géométriques & à des procédés rigoureux. En effet pour donner une idée de cette difficulté, qu’on pense que la densité de l’air, au travers duquel passe le regard, est susceptible toute seule d’un si grand nombre de variétés, que l’on ne peut véritablement les


soumettre à des opérations méthodiques. Cependant les nuances, les apparences même des corps reçoivent l’influence de tous les accidens de l’air & ils en reçoivent de tous les accidens de la lumière. Si la seule distance géométrique en décidoit, la perspective aërienne se rapprocheroit de la Perspective linéale ; mais, comme je viens de l’indiquer, une infinité d’autres causes s’y joignent, aussi à quelques règles générales près ; c’est de l’observation, de l’expérience & du raisonnement guidé par l’intelligence de l’Art, que les Artistes qui ont excellé dans cette partie se sont formé leurs systêmes.

Je destinerois, d’après ce que je viens d’exposer, la Perspective aërienne, à être placée dans le nombre des parties qui intellectuellement participent des sciences exactes, mais qui, dans la Pratique de l’Art, ne peuvent comporter que des approximations intelligentes. Mais si l’Artiste ne peut espérer de rendre les objets rigoureusement conformes à toutes les loix de cette perspective, ceux qui s’occupent de cet ouvrage de Peinture sont moins en état encore d’apprécier strictement le plus ou moins de conformité de l’imitation avec la nature.

La seconde base de la Peinture, qui est aussi positive que la Perspective linéale, est l’Anatomie. Je ne répéterai pas sur quelle raison est fondée cette assertion. Plusieurs articles de ce Dictionnaire l’expliquent assez. Nous avons aussi un nombre assez considérable d’ouvrages sur cet objet ; mais dans les uns, ce sujet est traité, si l’on peut parler ainsi, trop anatomiquement : dans quelques autres, trop pittoresquement. Dans les ouvrages anciens, tels que celui d’Albert Dur, dans lequel il traite des proportions qui ne peuvent être fondées que sur les observations anatomiques, ces observations, portées à des détails sans fin, rebutent ceux qui veulent s’en instruire. Il faut bien observer que, dans le nombre des hommes à qui ces ouvrages doivent être destinés, les Artistes ont un intérêt continuel & très-grand qu’en les instruisant on ménage leur tems, & que les Amateurs à leur tour, ont un grand besoin de trouver une telle facilîté à s’instruire, qu’ils se laissent amorcer, pour ainsi dire, & induits à acquérir ce dont la plupart ne croyent avoir besoin, ni pour jouir, ni pour décider.

Dans le grand ouvrage, dont j’esquisse ici le plan, la partie Anatomique comprendroit l’Ostéologie réduite à ce qui est nécessaire à l’Artiste, la Myologie, plus étendue, mais restreinte encore aux objets & aux accidens dont l’influence a lieu sur les apparences visibles. Il seroit à propos que ces différens traités fussent relatifs à des figures gravées avec la plus grande intelligence, & à des figures de ronde-bosse, ou modèles en plâtre qui offriroient dans les dimensions naturelles les différentes couches des muscles qui opèrent sur les corps animés des apparences sans