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dation jusqu’aux tons les plus éclatans de la peau. Les tons variés des chairs sont innombrables. Il faut les yeux les plus fins & les plus attentifs pour les demêler ; il faut pour les rendre, un talent en quelque sorte particulier, dans lequel entre plus souvent peut-être qu’on ne le penseroit un penchant délicat à admirer ces sortes de perfections de la nature, qui ne semble donné ni à tous les hommes, ni même à tous les Artistes. Le Corrège, le Guide, Wandyck, Rubens, le Titien, l’Albane, ont peint les chairs avec le sentiment dont j’ai parlé. Les enfans, les jeunes filles, les femmes, doués de santé, offrent les beautés dont j’ai parlé aussi. C’est à l’occasion de ces observations qu’il n’est pas hors de propos de rappeller que l’étude de la bosse, si utile pour le dessin, seroit defavorable au talent de peindre les chairs, si on en faisoit trop d’usage, parce que la bosse offre des réflexions de lumières, qui diffèrent beaucoup de celles que produit la peau.

Jeunes Eleves, vous ne pouvez acquérir cette partie nécessaire à votre talent, qu’en peignant beaucoup d’après la nature, & en réfléchissant encore plus sur les effets que vous offrent les chairs, & sur les moyens que peut vous fournir votre Art pour les imiter. Mais les occasions de faire ces études si utiles & si intéressantes, font à la vérité rares, sur-tout dans les climats où la carnation n’a pas généralement cet éclat, cette fraîcheur & cette finesse qui pour le Peintre en constituent les perfections dans nos contrées. La Flandre, la Hollande, offrent plus fréquemment des modèles de ces beautés de coloris. Notre climat, moins favorable, présente dans les chairs moins de finesse, moins d’éclat, & un coloris d’un blanc plus mat. L’imagination, la mémoire, l’observation des Maîtres qui ont excellé dans cette partie, sont les ressources des Artistes ; mais ces ressources sont toujours infiniment au-dessous de l’étude de la Nature.

CHARGE & CHARGÉ. Le sens du mot charge dans l’Art de Peinture se rapproche tellement de celui que j’ai exposé à l’article Caricature, que ce premier article paroîtroit devoir suffire pour donner l’intelligence des deux. Cependant l’adjectif chargé est pris le plus souvent dans un sens qui a plus de rapport au didactique de l’Art, que celui qu’on donne à caricature & au mot charge.

En effet, lorsqu’on se sert du premier de ces deux termes, on joint à l’idée d’une sorte d’incorrection volontaire l’idée d’un motif burlesque, comique ou satyrique ; & lorsqu’on dit qu’un trait, qu’un contour est chargé, qu’une figure, qu’une expression est chargée, on a pour objet seulement de blâmer une incorrection de l’Artiste, qui n’est relative qui’à sa négligence ou à quelque fausse idée qui l’a égarée. Ainsi le Professeur


dit très-sérieusement à un Elève qui dessine d’après le modèle, soyez plus correct, plus exact. Ne voyez-vous pas que le contour de votre figure, que le trait de cette partie est chargé ? De même, si l’Elève dans le seul but de désigner plus sensiblement dans ses figures une action, un sentiment, exagère l’expression, le Maître lui dit encore : il ne s’agit pas de représenter avec exagération le mouvement physique ou moral, *[1] mais de saisir l’un & l’autre avec justesse, car en chargeant, vous nuisez à l’effet que vous voulez produire, & la charge que sous vous permettez, au lieu de toucher ou d’affecter, devient & paroît ridicule.

L’Artiste charge encore quelquefois par la prétention de paroître savant dans la partie anatomique de son Art, c’est-à-dire, qu’il exagère les muscles & leurs renflemens, les articulations & les effets de leurs mouvemens. Il prononce trop les parties intérieures que recouvre la peau, qui en adoucit les apparences. Il semble craindre, en ne désignant pas toutes celles dont il a la connoissance, qu’on doute de sa science.

Ainsi l’homme qui parle, & l’Auteur qui écrit avec prétention, cherchent à amener, l’un dans sa conversation, l’autre dans son ouvrage, tout ce qu’il sait, au risque qu’on trouve que les détails dans lesquels il entre, & les connoissances dont il fait parade, sont de trop.

La simplicité & l’élégance, fondée sur une juste & parfaite correction, excluent tout ce qui est chargé, tout ce qui est outré, exagéré, tout ce qui est de trop, tout ce qui vient enfin plutôt des prétentions de l’Artiste qu’il n’appartient à la perfection de l’Art.

Cependant on doit observer qu’il est peut-être plusieurs circonstances, que je vais désigner, dans lesquelles non-seulement il est permis, mais où il est nêcessaire de charger. C’est, par exemple, lorsque les objets peints doivent être vus à une distance assez considérable, lorsque le point de vue peu ordinaire d’où il doivent être regardés, exige que l’on passe en dessinant ou en peignant les bornes que l’exactitude scrupuleuse des formes, des expressions, & même du coloris, imposent ordinairement. Alors l’ouvrage n’est pas précisément chargé, puisqu’il ne doit pas paroître tel du point de vue pour lequel il est fait. Certainement dans les grands ouvrages de Peinture dont je veux parler, telles que sont entr’autres les coupoles, si l’on s’approche plus ou moins des objets peints, en passant le point d’où ils doivent être considérés, on trouvera la plupart des contours, des traits, des expressions, des tons & des teintes exagérées, outrées & chargées. Mais s’ils ne l’étoient pas, aux yeux

  1. * On trouvera au mot Exagération quelques développemens & quelques autres applications des idées que j’ai exposées dans cet Article,