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secours, qu’exigent tout à la fois les bornes de l’Art, & la nécessité de suppléer par l’artifice à ce que l’Art ne peut faire. Lorsque dans la nature on considère une action, l’intérêt qu’elle occasionne détourne puissamment l’attention du spectateur, de tout autre objet que de celui qui le fixe. L’action & sur-tout le mouvement de ceux que l’action intéresse, arrête les yeux, & alors les caractères particuliers de tout ce qui n’est qu’accessoire, quoique toujours existant dans les objets de la nature, disparoissent pour ainsi dire, aux regards fixés sur des âtres animés. Si les objets accessoires présentent encore leur image, elle n’a plus, par la manière dont ils sont aperçus, que des caractères généraux, & e’est là ce qu’il faut exécuter dans le tableau, parce que, quelque perfection que vous mettiez dans la représentation de l’action que vous avec choisie comme objet principal, vos personnages étant malgré vous, physiquement muets & immobiles, ne pourroient assez fixer l’attention, pour qu’elle ne fût pas distraite, si vous ne preniez pas la licence de sacrifier les détails trop particulièrement caractéristiques des accessoires.

Ne vous appuyez cependant pas trop sur les raisons qui autorisent la sorte de licence dont je parle ; ne pensez pas qu’on peut la porter jusqu’à représenter d’une manière absolument vague les objets accessoires, & qu’il n’importe point du tout qu’on puisse en reconnoître la nature. Vous devez leur donner au moins assez des caractères de leur genre & de leur classe, pour qu’on entrevoye dans certaines formes, dans certaines dimensions, dans certaines proportions ce que vous avez eu en idée de représenter. Car si par malheur, vous n’aviez rien pensé vous-même que d’absolument vague à cet égard ; & par conséquent rien indiqué, on vous regarderoit, c’est-à-dire, votre ouvrage, comme on regarde un homme qui remue les lèvres & ne prononce aucun son, parce qu’il ne pense rien du tout. Représentez donc toujours un peu plus distinctement même que ne vous le suggère votre première intention, chacun des objets que vous y placez.

Mais je hasarderai de vous dire (en prenant le mot le cet article dans un autre sens) que si vous n’avez pas vous-même de caractère, vous aurez bien de la peine à en donner à vos ouvrages. Sans caractère, on ne sait jamais que vaguement ce qu’on pense, ce qu’on dit, ce qu’on veut faire & même ce qu’on fait.

On pourroit parler encore ici du caractère des sujets qu’on traite, du caractère du coloris, de celui du style ; mas il est aisé d’appercevoir que ces emplois du terme dont il est question dans cet article, s’éloignent du sens sous lequel je l’ai envisagé, relativement à l’Art, & l’on peut penser qu’ils trouveront leur place à l’occasion


de termes qui leur conviendront plus directement.

CARESSÉ. Un ouvrage caressé signifie un ouvrage remarquable par un beau fini.

Ici l’expression figurée a un rapport particulier avec le sens propre ; car pour parvenir à ce précieux, à ce fini qu’on exprime par le mot caressé ; il faut qu’en effet, le Peintre passe & repasse souvent, avec légèreté, avec délicatesse, avec une sorte de plaisir & de volupté même, si l’on peut s’exprimer ainsi, la brosse ou le pinceau sur les teintes qu’il doit fondre les unes dans les autres, sans les offenser, sans les altérer, & avec la circonspection, avec quelque chose des sensations, & de l’action même qu’éprouve quelqu’un qui caresse un objet aimé.

Caresser son ouvrage, a, par extension de signification & de figure, un sens relatif à l’amourpropre ; car il donne à entendre une affection trop grande pour l’ouvrage, auquel on se complaît. S’il faut m’en tenir au sens le moins détourné, je dirai qu’un ouvrage de Peinture, lorsqu’il est caressé, peut avoir un grand mérite, relativement au faire. Il peut avoir aussi des défauts, qui naissent du trop grand desir de terminer

Ces défauts sont la froideur & la mollesse.

Un tableau peut être caressé, jusques à perdre une grande partie de ce qu’on appelle l’esprit & le caractère. D’un autre côté, l’esprit & le caractère, trop prononcés, laissent à l’égard de certains ouvrages, désirer quelque chose de plus caressé. Le milieu juste en tout est difficile à fixer, dans la Peinture il est en quelque sorte inappréciable.

On peut dire de Salvator-Rose, que dans plusieurs de ses ouvrages il est trop peu caressé, qu’il est trop fier, trop heurté. Miéris, Vanderverf sont trop caressés dans leurs tableaux, plusieurs de leurs compositions empruntent de cette manière de terminer une froideur qui glace ; ceux de Grimou tombent dans la mollesse.

Au reste ; il est des ouvrages dans lesquels le mécanisme exclud absolument le caressé, & d’autres où il y entraîne l’Artiste. La fresque, ne donne pas au Peintre le tems de caresser son ouvrage ; tandis que l’émail & la miniature invitent le Peintre à être précieux, en exigeant du tems, de la patience, & en lui offrant les moyens de caresser ses productions.

Il est de même certains ouvrages qui demandent un grand soin, & d’autres qui en dispensent.

Les genres qui dispensent des soins qu’on désigne par le mot Caressé, sont les plafonds vastes & élevés. Les tableaux destinés à être vus de loin, les décorations qui doivent être placées en plein-air, celles qui sont faites pour des spectacles de nuit, ou pour des fêtes dont l’appareil