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CAM CAP 91


les déplaçant, je veux dire, en les employant à ce qui ne dot pas leur convenir, a inspiré pendant un tems, qui n’est pas encore fort éloigné, une préférence pour les camayeux, fort contraire aux progrès de la Peinture. Les hommes désœuvrés, ignorons, puissans ou riches, étoient en cela les ministres accrédités & favoris du mauvais goût, comme ils ont été dans tous les tems. L’usage des camayeux devint, dans celui dont je parle, tellement à la mode, qu’on les substituoit presque’en tous lieux à la véritable Peinture. Cette fantaisie épidémique devoit enfanter une multitude d’ouvrages tendans à la barbarie ; & cela arriva. Les palais, les maisons, les temples même se peuplèrent d’enfans, d’hommes verds, bleus, rouges, c’est-à-dire, de monstres, la plupart absurdes & fort ridicules. Ces ouvrages, dignes des siècles d’ignorance, offroient des ornemens peu dispendieux. Ils furent adoptés avec empressement par l’effet d’une sorte de luxe parcimonieux, très-commun parmi nous ; des ouvrages de cette nature ne pouvoient avoir d’attraits pour les véritables Peintres. Les camayeux devinrent conséquemment la ressource des plus foibles talons. Le plus grand nombre de ceux qui se complaiscient, en ornant leur demeure, à y prodiguer avec une somptuosité mesquine ces mauvais ouvrages, ne trouvoient pas une grande différence entre ceux qui étoient exécutés par des Artistes médiocres, & ceux que des hommes de talent ne dédaignoient pas de faire quelquefois par condescendance ou par fantaisie. Il résulta delà une source d’idées absurdes qui dégradoient l’Art ; il en résulta aussi, peur les jeunes Artistes, des occasions de petits profits, trop aisés à acquérir, pour n’être pas saisis, & des ouvrages d’un trop mauvais genre pour n’être pas nuisibles à leurs progrès. Comme les camayeux n’avoient aucune relation à la couleur de la nature, il étoit inutile de la consulter pour les peindre ; en coloriant presque au hasard, avec quelques idées du clair-obscur, on se croyait autoisé à altérer les formes, comme on altéroit la couleur C’est par de semblables bisarreries que les Arts se corrompent ; c’est ainsi qu’ils se dégraderoient absolument parmi nous, si l’inconstance nationale ne s’opposoit à la durée de ces absurdités.

Un principe fort important pour la conservation du bon goût dans les Lettres & dans les Arts, est de retenir chaque espèce de talent dans le district qui lui appartient & qui lui est convenable ; ce doit être le soin d’une administration éclairée, & ce soin demande plus d’adresse qu’on ne pense ; car il faut qu’elle soit persuadée que, quelque mérite que puisse avoir une production, où le talent se trouve déplacé, elle est toujours imparfaite, répréhensible au jugement de la raison, & nuisible au goût.

Au reste, il est certains camayeux nécessaires dans les embellissemens des théâtres, dans les


fêtes, les spectacles, les décorations ; ils sont estimables lorsqu’il imitent avec art & avec intelligence des stucs, des bas-reliefs, des ornemens de bronze & de marbre, des camées. Et ce que j’ai dit en général des eamayeux ne regarde point du tout ces genres autorisés, qui d’ailleurs sont des imitations, des représentations d’objets réels & non pas des matières & des substances idéales, des couleurs fantastiques absolument arbitraires.

Les rehaussés d’or entrent dans les camayeux dont je viens de parler, & peuvent être heureusement employés dans des plafonds.

Je ne conseillerai rien sur les camayeux que j’ai désignés pour en blâmer l’usage. Les Artistes, sans goût & sans principes arrêtés, suivent les caprices du Public ignorant qui les égarent lorsqu’ils ont la foiblesse de se laisser maîtriser ; mais je dirai à ceux qui sont susceptibles d’être conseillés : ne vous permettez que bien rarement des emplois trop faciles de votre talent, ou des ouvrages que vous regardez comme des fantaisies & des abus de l’Art. Peignez la nature colorée, & songez encore que si vous adoptez avec trop de préférence certaines teintes, certains tons de couleur, vous approcherez dans votre coloris des camayeux dont j’ai parlé.

L’accord, par ce moyen, vous semble plus facile. Mais cette facilite vous conduit à perdre de vue la nature ; & cette négligence, qui tourne en habitude, peut vous rendre un Peintre maniéré, ou s’opposer à ce que vous méritiez le titre de Coloriste. La nature, parfaitement harmonieuse, est en même-temps inépuisablement variée dans ses tons ; & il ne vous est pas plus permis d’être harmonieux sans variété de tons, que d’être varié sans harmonie.

CAPITAL. Un ouvrage de Peinture est désigné par le mot capital, soit parce qu’il est d’une dimension considérable, soit parce qu’il contient à un dégré éminent le mérite de l’Art & celui de l’Artiste.

On applique donc principalement le terme qui fait le sujet de cet Article, tantôt au Peintre, tantôt à l’Art de la Peinture ; & l’objet le plus capital est celui qui réunit tous ces différens mérites.

On dit : ce tableau est un tableau capital de tel maître.

C’est dans ce dernier sens que le mot capital est surtout en usage parmi les curieux, les possesseurs de collections & les marchands. On dit encore d’un homme qui a rassemblé un grand nombre d’ouvrages de choix, qu’il a plus d’un tableau capital ; qu’il possède un ouvrage capital de Rubens, de Wandeik, du Corrége, du Guide, de Giraudoux, de Ténieres ; mais on ne devroit employer cependant cette expression qu’à l’occasion des maîtres de chaque Ecole qui tiennen les premiers rangs.



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