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sirs de succès, les chefs-d’œuvre antiques, & si vous y entrevoyez la beauté idéale, suspendez votre crayon, & admirez avec le respect religieux qu’impose le sublime des textes sacrés. Craignez sur-tout, craignez ceux qui commentent ou paraphrasent.

Si vous êtes ravis d’admiration en regardant & en dessinant l’Apollon antique, si votre ame est faisie de l’expression céleste qui s’y joint à toutes les beautés des formes ; que vous serviroit qu’un des plus célèbres enthousiastes du beau idéal & de l’antiquité vous dit : « L’idée de la beauté est comme une substance abstraite de la matière par l’action du feu, comme un esprit qui cherche à se créer un être à l’image de la première créature raisonnable, formée par l’intelligence de la divinité ».

Entendrez-vous ce langage d’un homme[1] digne d’ailleurs de la plus grande estime par ses connoissances, son érudition & son desir d’inspirer ce qu’il ressentoit à la vue des chefs-d’œuvre antiques ? non sans doute. Craignez donc de perdre, à le comprendre, le temps que vous devez employer à sentir & à pratiquer ; mais gardez-vous également de vous jetter dans une extrémité trop opposée ; gardez-vous de tourner en dérision ce qui a rapport à la beauté idéale ; vous vous verriez entraîné si rapidement à l’imitation de la nature vulgaire, plus facile à saisir, que vous croiriez peut-être enfin le choix même peu nécessaire ; vous descendriez d’une perfection trop élevée pour vous, à un mérite trop inférieur même à vos forces, & ce seroit un égarement plus blâmable que celui que vous vouliez éviter.

C’est dans le choix comparatif que consiste la perfection moyenne, qui malheureusement suffit à nos idées artielles modernes ; mais par le choix délicat, par le choix le plus parfait, vous vous rapprocherez au moins du sublime. N’éteignez donc pas un desir d’élévation qui soutiendra votre talent à la hauteur de votre ame, & que par l’émulation des succès, par l’étude des beautés qu’ont atteint les plus célèbres Artistes, par une secrette inspiration enfin, vous sentiez que le sublime, bien qu’on le nomme idéal, n’est pas chimérique.

Après vous être exercés de bonne heure & long-temps à l’imitation des modèles qui vous sont offerts par vos maîtres, premièrement sans autre but que d’imiter exactement, exercez-vous par des comparaisons fréquentes & méditées, à apprécier & à choisir. Hasardez d’après l’appercevance de ce qui est plus ou moins beau dans vos modèles, de substituer aux parties dont vous n’êtes pas satisfait par l’idée plus élevée que vous prenez de la Nature, d’autres parties que votre sentiment appuyé de principes inaltérables, vous sera concevoir comme plus parfaites.


Donnez enfin, si vous avez reçu quelque étincelle du flambeau qui anima Homère ou Phidias, un essor libre à votre imagination, & élancez-vous vers le sublime.

Le génie peut seul diriger ce vol, & les avis qu’on tenteroit de vous donner en ce moment ressembleroient à ceux qu’Apollon donnoit à son fils : « Dirigez, lui disoit-il, votre char de manière à éviter les périls qui s’offriront à vous ; moderez quelquefois vos coursiers, poussez-les à propos ; craignez de vous égarer dans les vastes espaces que vous voulez parcourir »

C’étoit un Dieu qui instruisoit un jeune héros, & cependant le héros se perdit.

Pour offrir encore quelques notions & même quelques conseils à ceux qui se croient en droit de guider à leur gré, le crayon & le ciseau des Artistes, parce qu’ayant l’avantage de les employer, ils prescrivent des évaluations pécuniaires au talent & même au génie, je hasarderai de leur dire :

Vous est-il donc possible, d’après vos occupations, vos dissipations, vos desœuvremens, d’acquérir assez d’idées’ libérales pour atteindre dans les Arts, & l’oserois-je dire, dans les sentimens même, à la beauté & aux perfections que nous nommons idéales ou sublimes ? Ce que vous pourriez & qu’on doit vous demander, c’est de laisser au moins un libre & juste essor aux Artistes, & de ne pas les asservir à des choix dont la préférence n’est fondée que sur vos affections personnelles. La vérité qu’il seroit avantageux de vous faire reconnaître encore & qu’on ne peut trop vous répéter, c’est que les satisfactions que vous cherchez dans les Arts seroient beaucoup plus grandes & plus durables, si elles dépendoient moins de vos décisions & de vos caprices.

Ecoutez donc les Artistes ; mais vous leur ôtez souvent la faculté ou le courage de vous éclairer, parce qu’ils ont-malheureusement un plus indispensable besoin de ceux qui les emploient & les protègent, que ceux-ci n’ont besoin réellement d’Artistes habiles & éclairés.

BEAUTÉ. L’article Beau a précédé celui-ci, parce qu’il en a le droit dans l’ordre alphabétique Je pense même, & je l’ai fait observer, que, relativement aux Arts dont il est question dans ce Dictionnaire particulier, le beau présente un sens plus général, & le mot beauté une idée plus positive. Cependant il est nécessaire de distinguer encore, dans la manière dont on peut employer ce dernier, deux acceptions principalement différentes.

Quelquefois le sens du mot beauté est à peu de chose près celui du mot perfection. On peut dire alors que le Peintre a atteint ou a approché beaucoup de l’idée qu’on a de la perfection de l’Art, & l’on a pour base, ou des connoissances

  1. * Winkelmann.
acquises,