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Place-t-il donc des fabriques, des arbres, des rochers, dans une partie de sa composition ? qu’il ait soin dans les autres parties d’introduire des objets qui appellent à leur tour le regard. Que d’autres le disputent à ceux-ci ; que l’œil enfin ne soit jamais trop rapidement précipité d’une dimension à une autre, mais que successivement appellé dans différens points, il se promène sur un tableau, comme on feroit dans un pays qui ne seroit ni trop uni, ni trop montagneux. C’est ainsi que lorsque nous considérons une Cour brillante, nous rendons successivement une sorte d’hommage aux grouppes multipliés qui nous appellent par des distinctions, des parures, ou des agrémens divers, jusqu’à ce que notre curiosité, agréablement balancée, s’arrête enfin aux personnages Augustes qui, par l’amour qu’on leur porte, ou la grace qui les pare, fixent le sentiment & les regards. Dans un vaste paysage des bords de la Seine, les bourgs, les villages, les maisons de plaisance, les coteaux, se balancent par leur plan, ou par leur différente grandeur, autour d’une Capitale immense, dont la masse riche & variée devient enfin l’objet capital. Observez des pays plus intéressans pour les Peintres, vous y découvrez des sommets de montagnes, diversifiés dans leurs formes & dans leurs élévations ; des arbres épars ou rassemblés, font parcourir au regard qui s’élève, s’abaisse, se relève successivement, des sites que leur inégalité rend pittoresques, & si, vers la base de ces montagnes, le long desquelles à différens étages, se distinguent aussi des habitations plus ou moins remarquables, il s’offre un lac tranquille & limpide où se réfléchit la lumière d’un ciel pur, les yeux s’y arrêtent, & l’on éprouve le plaisir que goûte un Voyageur, lorsqu’après avoir monté & descendu les côteaux, il se repose dans une agréable vallée.

C’est donc à l’avantage de l’Art, que non-seulement les hommes se balancent naturellement, soit dans leurs mouvemens, lorsqu’ils agissent, soit par leurs attitudes, dans le repos, soit par les gestes & l’expression, s’ils sont émus, mais encore que les objets matériels & immobiles, se trouvent naturellement balancés par les formes & les accidens qui leur sont propres, & que les nuages mêmes, jouets des vents & des effets de la lumière, offrent des exemples de balancement, qui donnent droit d’en employer de semblables ou même d’en imaginer de plus heureux.

Cependant, Artistes doués d’imagination, modérez-la, lorsque vous vous occuperez à balancer vos compositions. Le Voyageur se plaît à être légèrement balancé dans la voiture qui le transporte d’un lieu à un autre, mais il souffriroit d’être brusquement cahoté.

Artistes froids, faites-vous la loi d’étudier les balancements que vous offre la nature. La litière


dont les mouvemens sont monotones endort le Voyageur dans un chemin trop uni.

BAMBOCHADE, (subst. fém.) Que ce terme du langage de la Peinture soit emprunté ou qu’il ait été créé pour le langage de l’Art, peu importe sans doute à ceux qui veulent plutôt s’instruire des choses que des noms ; cependant, comme le plus grand nombre des lecteurs, même les mieux intentionnés à cet égard, se plaisent à trouver l’instruction mêlée de quelques épisodes qui la rendent moins sérieuse, je leur conterai que Pierre de l’Aar, surnommé Bamboche, naquit près de Naarden, dans la Hollande, en 1613, avec la conformation la plus disgracée & les dispositions les plus heureuses. Il avoit, à la vérité, les jambes longues & mal-assurées, le corps fort court & la tête enfoncée dans les épaules ; mais sa vue étoit juste, sa mémoire étendue & son esprit développé. Ce qui ajoutont au dédommagement qui lui étoit dû, à si juste titre, c’étoit une gaité inépuisable, une plaisanterie fine, agréable, & un esprit naturel qui plaisoit à tout le monde, présens que la Providence, par une justice distributive, fait assez fréquemment à ceux qu’elle a sacrifiés à ses caprices. Pierre de l’Aar se trouva donc doué du talent de la Peinture, du charme d’un heureux caractère & du don plus précieux encore de se faire aimer. Il égaya sa difformité comme Ésope son esclavage, & Scarron la douleur & la maladie. Je ne sais si, ayant à choisir de ce partage ou de celui de tant de beautés sans agrément, de figures sans caractère & d’esprits profondément ennuyeux, on pourroit hésiter sur la préférence. Notre Artiste ne fut pas le maître de choisir ; mais avec des qualités dont il sentit le prix, il ne craignit point de se montrer dans le lieu même où sont rassemblés les plus belles ïmages des formes humaines. Il alla donc à Rome ; les Italiens, portés à la dérision par l’effet d’un esprit prompt, d’une imagination pittoresque & d’un penchant marqué pour les sobriquets, l’appelèrent Bambozzo, qui signifie homme manqué. Nous pouvons penser, d’après son humeur, que le sobriquet le mortifia peu, & qu’il y trouva peut-être des occasions de plus de montrer sa gaité ; précieux don que celui qui nous fait tirer parti de tout, pour tromper notre destinée. Notre jeune Artiste, heureux jusques dans les liaisons, vécut avec Poussin, Claude le Lorrain & Sandrart. Il faisoit les frais de leur amusement, soit par les sons qu’il tiroit de plusieurs instrumens dans lesquels il excelloit, soit par les jeux de son imagination, soit enfin par ses plaisanteries, d’autant plus gaies & plus aimables que la malignité ne s’y mêla jamais. Peu jaloux des avantages dont il ne jouissoit pas, il se contentoit de mettre à profit ceux qu’il avoit reçus, & portant sa gaité jusques dans son travail, il ne commençoit jamais à peindre, sans