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renonce à placer son nom & ses ouvrages au premier rang ! Il pourra se montrer savant dans son Art, Dessisnateur, Coloriste ; il ne sera ni Raphaël ni le Corrége. Il plaira aux regards, occupera quelquefois l’esprit, mais ne parviendra jamais jusqu’au cœur ; car, dans les Arts, on ne touche qu’autant qu’on est touché.

Après avoir formé & animé notre Artiste, faisons lui parcourir sa carrière ; mais commençons par le considérer, en intervertissant un peu sa marche, comme destiné à instruire ; car, dans la Peinture, il existe une liaison si généralement établie entre la pratique & l’enseignement, que tout Artiste devient maitre dès qu’il cesse d’être disciple, & même le plus souvent lorsqu’il l’est encore. C’est en considérant ces dispositions nobles & véritablement libérales, qu’on pourroit s’étonner & se plaindre de ce que dans notre siècle, où l’on s’occupe avec tant d’intérêt de l’éducation, il n’y a guère que les seuls Artistes qui se fassent un plaisir & une sorte de devoir de payer leur tribut à la patrie, en reproduisant d’autres Artistes. On les voit, en effet, sacrifier pour cela librement & sans intérêt des portions journalières d’un temps précieux, & s’affectionner à des enfans adoptés, au risque de s’en faire des rivaux ; dont ils savent, à la vérité, s’enorgueillir au lieu d’envier leurs succès.

Nos mœurs ne comportent malheureusement pas que le Magistrat forme des Magistrats, comme l’Artiste forme des Artistes. Nos Scevola ne se chargent plus de donner à leur patrie des Cicérons *, & dans chaque état un penchant naturel, ou mieux encore, le sentiment patriotique, n’entraîne pas ceux qui s’y distinguent à se choisir des enfans d’adoption ; mais après avoir observé à cette occasion que c’est l’intérêt & le défaut d’autre moyen de vivre parmi nous, qui produisent le plus grand nombre des Instituteurs, plaignons à leur tour nos Arts qui, par l’effet d’opinions fausses, n’ont de ressource pour recruter leur jeune Milice que les classes où généralement le besoin & l’ignorance se font le plus appercevoir ; car par l’inconséquence des préjugés qui subsistent parmi nous, tandis que la voix publique élève le nom des Artistes devenus célèbres au rang des noms les plus distingués, une infinité d’hommes qui n’ont aucune véritable distinction, ne permettroient pas à ceux de leurs enfans qu’un penchant marqué entraîneroit au talent de la Peinture, de s’y consacrer.

Il résulte de ce préjugé que le plus grand nombre des jeunes Artistes n’apporte pas dans les Arts l’éducation préparatoire qui leur seroit nécessaire, & pour leur avantage, & pour donner une plus parfaite instruction à leurs Élèves.

Cet inconvénient influe sur le progrès général de l’Art, sur-tout lorsque les Artistes deviennent


Professeurs publics par le choix d’une Académie ; car alors la plupart n’ont ni l’aptitude, ni le temps de préparer des instructions qu’il seroit infiniment utile de donner à tous les Élèves réunis, avant qu’ils contmençassent à dessiner le modèle dans chacune des poses qu’on leur offre à imiter.

Il n’en est pas ainsi des autres Instituteurs, qui étant instruits & moins occupés que les Artistes, peuvent d’autant mieux préparer leurs leçons qu’ils abandonnent ordinairement toute autre occupation pour se livrer à celle d’instruire.

Quoique les Artistes n’ayent que rarement les instructions que la Peinture rend plus nécessaires qui une infinité d’autres professions, cependant on leur voit, de nos jours, une plus grande urbanité qu’autrefois, relativement aux manières & au langage, parce que cette sorte d’éducation est plus répandue qu’elle ne l’étoit dans tous les ordres de la société ; d’ailleurs, les Artistes qui ont eu le malheur d’en être privés s’efforcent par une étude tardive & souvent pénible d’y suppléer, en dérobant aux travaux de l’Art des momens précieux, ou aux délassemens ceux qui seroient nécessaires pour leur santé. Enfin, ces Artistes, vivans beaucoup plus hors de leurs attelïers qu’ils ne faisoient, reçoivent dans la société un certain vernis d’éducation que quelquefois ils achetent trop cher, soit parce qu’ils adoptent en même temps des idées peu conformes aux vrais principes de l’Art, soit parce qu’ils contractent l’habitude d’une dissipation d’autant plus dangereuse qu’elle offre plus d’agrément à ceux qui ont quelques succès.

Je dois ajouter au nombre des inconvéniens qu’entraîne pour les Artistes le défaut d’instruction, la difficulté qu’ils éprouvent lorsque, portés à transmettre d’utiles observations & des procédés éprouvés, ils sont arrêtés par ce qu’on peut appeller le métier d’écrire.

Un moyen de surmonter cette difficulté seroit l’usage & l’habitude de conférer, soit par des lectures, soit par des dissertations sur la théorie & sur la pratique de l’Art. Ce moyen n’a point échappé aux Instituteurs de nos Académies. Ils en avoient prescrit l’usage, & tandis qu’un excellent Professeur dirigeoit la jeunesse dans l’exercice du dessin, ils croyoient avec raison avantageux pour les Maîtres, que certains jours ils se communiquassent leurs lumières. Ils supposoient qu’un choix des Élèves les plus méritant & les mieux disposés, admis dans leurs assemblées, s’instruiroient en les écoutant, & que ces jeunes disciples feroient ainsi un cours d’instruction, qui les habitueroit à réfléchir & à méditer à leur tour.

Cet usage est tombé en désuétude, & d’après ce que j’ai exposé, sans avoir dit, à beaucoup près, tout ce que comporte cet objet, il n’est pas étonnant qu’on en soit venu jusqu’à regarder comme inutiles & pédantesques des soins que n’ont pas dédaigné cependant les Bourdon, les Jouvenet, les Le Brun, les Coypel, & tant


Beaux-Arts. Tome I. F