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nités bienfaisantes qui présidoient à leur bonheur. Les Arts libéraux sont les langages de ces cultes, l’imperfection de ces langages altère leur dignité ; la perfection de tout ce qui les interprète ou les représente, les honore ; en parler peu convenablement, les peindre mal, en faire des images qui les dégradent, les faire tomber enfin sous les sens d’une manière qui leur soit défavorable ou ridicule, sont des espèces de profanations, & chacun de ceux qui aspirent aux plus douces jouissances des Arts, doivent donc à l’intérêt de la personnalité même, de contribuer à les soutenir & à les porter aux véritables perfections.

Voilà les premiers élémens convenables à ceux qui, n’étant pas chargés de diriger les Arts, & ne se dévouant pas à les exercer, paroissent se contenter d’en attendre des satisfactions & des jouissances. Mais s’ils n’en exigeoient même que des amusemens passagers, n’ont-ils pas encore le plus grand intérêt à les goûter aussi complettement que leur imagination les leur fait desirer ?

Doit-on se lasser de répéter que c’est par la perfection des Arts, perfection qui les rend plus susceptibles de s’accorder avec toutes les convenances, que les amusemens mêmes deviennent véritablement agréables ? Les amusemens sont destinés à ramener pour quelques momens l’égalité entre les hommes & à suspendre la personnalité. C’est altérer leur nature, que d’enfreindre ce premier principe qui doit leur servir de base. Ce qu’on nomme divertissement, n’est pas reconnu comme tel, s’il se borne à un seul individu : le plaisir enfin demande à être partagé, à être unanime ; tous ceux qui y participent doivent y contribuer & en jouir, & cette destination élémentaire n’est bien remplie, qu’autant que les convenances sont observées avec soin & avec finesse. Lors donc que les Arts libéraux sont employés aux amusemens même, plus ces Arts sont perfectionnés, plus les convenances ont de ressources pour le choix des genres qu’on emploie, l’usage qu’on en fait, les mélanges auxquels ils peuvent se prêter sans se détériorer ou se dénaturer. Le goût, qui est le sentiment délicat & fin des convenances générales & des conventions établies, a droit jusques sur la durée des amusemens, ainsi que sur le lieu, le nombre, le choix de ceux qu’ils rassemblent, & si les fêtes, les jeux, les spectacles publics ou particuliers manquent si souvent leur but, il est aisé de reconnoître que c’est par l’infraction de quelques-unes des convenances & la plupart du temps, de presque toutes à la fois.

Puisque j’ai parlé du sentiment fin des convenances, je dois faire observer qu’à l’égard de la plupart des Arts, c’est par l’ignorance ou le mépris de ces élémens, applicables à tous, que la Poësie est tombée & tombe si souvent encore dans les excès de toute espèce, soit en surchargeant sa parure d’ornemens & de faux brillans,


nuisibles à la véritable beauté, soit en s’abaissant, comme pour s’humaniser sans doute, jusqu’à la platitude, au trivial & au mauvais goût. C’est par l’oubli de ces principes élémentaires que la Sculpture s’est égarée dans des temps peu éloignés de ceux où j’écris, soit dans l’extravagance, la prodigalité & le mauvais emploi des ornemens, soit dans les exagérations & les abus d’expressions, de contrastes & de mouvemens. C’est ainsi que l’Architecture, tantôt lourde, pour paroïtre majestueuse, tantôt mesquine, pour paroitre légère, a prodigué les masses disproportionnées, les colonnes & les ornemens hors de toute mesure & en dépit du véritable goût, c’est-à-dire, de la raison & des convenances.

Je me trouve ramené naturellement par ces dernières réflexions à observer à ceux qui se contentent de jouir des Arts, qu’un des soutiens de leurs jouissances, seroit le maintien des proportions que la raison éclairée établit naturellement entre les différens genres de chacun des Arts ; car l’interversion des idées à cet égard, en rompant la chaîne dont j’ai fait voir le développement & l’importance, ne peut qu’être infiniment nuisible, même aux branches les plus subordonnées. Mais comment engager une classe jalouse de son indépendance, maitresse de ses préférences, arbitre de ses goûts particuliers, à adopter ce principe & à le maintenir sur-tout, si ceux qui composent cette classe regardent absolument les Arts comme objets d’amusemens & de jouissances personnelles ? Des principes sembleroient des atteintes à leur liberté. D’ailleurs, est-ce le moment de réclamer un droit d’aînesse pour les genres les plus nobles de tous les Arts, lorsque leurs grandes destinations négligées rendent leurs droits moins évidens ? Lorsque les genres, uniquement agréables, sont d’autant plus fêtés, qu’ils se prêtent plus à la personnalité que les genres élevés & qu’ils gardent moins leur dignité ? Cette entreprise, quoique raisonnable, seroit sans doute très-douteuse ; aussi, laissant le ton du précepte, je me contenterai de hasarder, à l’exemple du Grec que j’ai cité, quelques questions à ceux qui paroissent s’occuper avec plus d’intérêt & d’activité des jouissances de la Peinture.

Daignez, ai-je dit quelquefois à plusieurs de ceux dont je parle, daignez m’apprendre quel est le principe de votre admiration pour ces tableaux qui vous causent de si vifs enthousiasmes ? — La Nature. La Nature, m’a-t-on répondu. — Et j’osois dire alors ; Vous connoissez donc bien la Nature ; vous l’avez observée avec réflexion ; vous l’avez étudiée, méditée ; vous avez distingué cc qu’elle a de plus noble, de plus essentiellement beau, de plus intéressant ; vous conservez avec ordre dans votre idée ces beautés graduelles, ainsi que la mémoire exacte des formes, des effets, celle des mouvemens, des passions ; vous les dicteriez au Peintre, si son imagination