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ont pour modèles convenus les formes sous lesquelles les Anciens les ont représentées dans leurs productions artielles qui nous sont parvenues.

Mais, malgré cette autorisation, si la sagesse, représentée par la figure de Minerve, vole pour arrêter un Héros trop impétueux, & que cette figure peinte paroisse lourde & mal-adroite, le spectateur en sera plus choqué, que si sa critique ne tomboit que sur un personnage naturel.

En général, ce qui invite à employer l’allégorie, & ce qui fait qu’on en abuse souvent, même lorsqu’elle est autorisée, c’est que le langage figuré ou abstrait a des charmes pour l’esprit cultivé & pour l’imagination, sur-tout qui est indulgente sur les vrai-semblances. Mais s’il est des hommes doués d’imagination, & des esprits cultivés, combien n’en existe-t-il pas d’ignorans, combien n’y en a-t-il pas qui ont peu, ou qui n’ont point d’imagination ? Ceux qui forment ces deux dernières classes, ne voient ordinairement dans les figures qui traversent les airs, par exemple, que des hommes ou des femmes dans une situation contraire à leur nature. Ces spectateurs, très-mal disposés par l’invrai-semblance, cherchent querelle, si l’on peut parler ainsi, avec une secrette satisfaction, à tout personnage de cette espèce, & les ridicules qu’ils y découvrent, ou qu’ils leur supposent, sont alors les objets dont ils s’occupent & le seul plaisir que leur donne le tableau.

Il est donc bien nécessaire que l’allégorie soit employée avec réserve, que les figures qu’on y fait entrer soient faciles à reconnoître, même pour ceux qu’on suppose instruits ; que leurs intentions se découvrent aisément & qu’elles n’embarrassent point les compositions ; car, en laissant de côté la classe des hommes pour qui l’allégorie est un langage peu intelligible & qui manquent d’imagination, on ne peut disconvenir que l’intérêt d’unité est presque toujours altéré par le mélange des figures allégoriques avec les figures naturelles. Il arrive même assez souvent que l’homme d’esprit, l’homme instruit s’attache préférablement aux personnages surnaturels, soit pour deviner leur langage abstrait, soit à cause du droit qu’a sur l’imagination tout ce qui est extraordinaire & surnaturel.

Il paroîtra résulter de ces observations que la Peinture ne devroit offrir que des objets qu’on puisse comparer avec la nature pour juger du mérite de l’imitation ; que par conséquent l’allégorie devroit être exclue de l’Art dont je parle : mais cette conséquence seroit trop sévère & ne seroit juste, en effet, qu’autant qu’il n’existeroit pas un nombre d’ouvrages d’imagination, qui ont formé un Monde poétique, & par conséquent pittoresque, généralement adopté & convenu.

Cette convention étant établie depuis plusieurs siècles, la seule sévérité que la raison


exige consiste, à ce que je crois, dans les préceptes que j’ai avancés ; car s’il est vrai que le succès de l’allégorie soit doublement flatteur pour l’homme qui se montre, par ce moyen, instruit & spirituel, si le juste mélange de ce langage intellectuel avec le langage naturel propre à la Peinture est un chef-d’œuvre & une bonne fortune dûe au génie, on peut dire aussi que rien n’est moins intéressant, & qu’au contraire, rien n’est plus choquant que le mauvais usage qu’on en fait.

Mais si, au lieu d’employer des figures allégoriques bien autorisées, bien connues, l’Artiste se donne la liberté d’en créer de nouvelles ; alors les difficultés sont presque insurmontables, le succès plus que douteux, le ridicule ou l’obscurité inévitables, & l’on peut dire alors que l’allégorie, au lieu d’étendre les bornes de l’Art, & par-là de le perfectionner, contribue à le détériorer.

C’est ce qui arrive de presque toutes les compositions absolument allégoriques. On peut justement avancer qu’elles se rapprochent de ce que nous nommons énigmes, avec cette différence seulement que le Peintre du tableau allégorique le plus difficile à comprendre a pour but d’être entendu, & que l’Auteur de l’énigme a le projet de ne l’être pas. Aussi le Peintre a-t-il grand soin, à l’aide d’un portrait, d’un nom, d’une désignation quelconque, de dire le mot, tandis que le Faiseur d’énigmes s’efforce de le taire.

L’un & l’autre de ces ouvrages sont un jeu, ou un abus de l’esprit & du talent ; mais les tableaux, purement allégoriques, ont aussi, pour la plupart, des motifs moins indifférens, que la morale sévère n’approuve pas plus que le bon goût ne peut approuver ces sortes d’ouvrages ; car ils sont presque tous inspirés par la flatterie, qui profane les emblêmes nobles des grandes qualités & des vertus, en les prodiguant trop souvent, par intérêt ou par bassesse. Or il faut observer que la flatterie employée dans le discours, s’évanouir avec la parole ; mais que la flatterie peinte, sculptée, gravée, même imprimée, s’offrant plus sensiblement sous des traits visibles, blessé d’autant plus qu’elle est toujours exagérée, qu’elle prend un corps qui semble affronter de pied-ferme, si l’on peut parler ainsi, la vérité, & qu’enfin, elle présente publiquement, pendant des siècles, l’exagération, le mensonge & l’avilissement.

Quant aux allégories pittoresques, inspirées par la méchanceté, elles sont d’autant plus répréhensibles que la satyre y est plus outrée & plus audacieuse, en s’y montrant sous des formes animées qui ajoutent aux vices des apparences hideuses.

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AMATEUR, (subst. masc.) Le titre d’Amateur


Beaux-Arts. Tome I. C