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NOTIONS PRÉLIMINAIRES. vij


Il me reste à dire quelque chose de deux circonstances qui influent essentiellement sur l’éclat & les progrès des Arts ; l’une est la température des climats, l’autre la privation & le secours du langage écrit.

Je suis loin d’établir sur les degrés nuancés des températures, ceux du perfectionnement de l’intelligence humaine : cette base systématique a déjà plus d’une fois égaré la Philosophie & ne peut supporter l’édifice d’une Théorie convainquante, à cause de la multiplicité infinie des circonstances accessoires qui s’y mêlent ; mais les raisonnemens & les faits me semblent d’accord, pour convaincre que les rigueurs extrêmes du froid, ou les ardeurs excessives des climats brulans, sont des obstacles physiques infiniment contraires aux développemens & aux progrès des Arts, parce qu’elles le sont à la perfection de l’organisation des corps, ainsi qu’à l’exercice & à la promptitude des facultés & des mouvemens de l’ame.

Passons à l’influence du langage écrit sur le perfectionnement des Arts.

Les hommes destinés à se réunir par la nécessité & par tous les avantages qu’ils trouvent en des secours mutuels, ne peuvent pas plus s’abstenir de se communiquer leurs affections réciproques, que leurs besoins.

Les premiers moyens que leur fournit l’instinct, leur deviennent bientôt insuffisans, & la Pantomime appelle le langage articulé par des incitations tellement irrésistibles, que nous n’avons pas connoissance que des hommes rassemblés, soient restés muets.

Mais lorsqu’il s’agit d’étendre cette nécessité de progression jusqu’à l’établissement d’un langage écrit, une quantité d’exemples attestent sur la surface de la terre que les mouvemens & les sons articulés peuvent suffire pendant plusieurs siècles aux hommes vivans en société.

Des Nations nombreuses se contentent donc des premiers moyens pour se transmettre mutuellement leurs besoins & leurs conceptions ; ils gesticulent, se parlent & n’écrivent pas ; les manifestations de leurs affections, de leurs desirs, de leurs volontés, de toutes leurs idées, enfin, s’évanouissent avec l’air & les mouvemens qui les font connoître, & les souvenirs qui leur en restent ressemblent aux traces imprimées sur un sable mobile.

Les principes & les procédés de leurs Arts & de leurs industries, assujétis au même sort, dépendent donc alors absolument de la tradition orale & d’une réminiscence fugitive de sa nature. Aussi les dépositaires des notions acquises sont-ils exposés à les perdre par l’oubli, ou à les altérer, en les transmettant imparfaitement à d’autres qui trop ordinairement joignent à des erreurs déjà reçues, celles qui leur sont propres.

Cette seule tradition orale & ces réminiscences si peu assurées, ne peuvent donc pas faire parvenir les Arts libéraux aux perfections qui demandent des enchaînemens de principes théoriques, de moyens pratiques & d’observations. Ces objets ne peuvent avoir d’existence constante que dans les tems où l’homme a ajouté à l’un des Arts transitoires la fixité qui lui manquoit, en inventant des signes durables de la pensée ; mais ce secours indispensable, pour transmettre fidèlement & perfectionner les observations & les raisonnemens, n’a-t’il pas aussi des inconvéniens pour les Arts ? Il en a sans doute, & le sort fatal de l’intelligence humaine est de ne pouvoir éviter que presque tous les objets qu’elle perfectionne, ne lui deviennent nuisibles, après leur avoir été profitables.

L’industrie très-perfectionnée produit le luxe, & les richesses multipliées la cupidité. L’Ecriture qui transmet les vérités, transmet les erreurs ; ce qu’on appelle