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le catalogue des tableaux qu’il renferme, ni décider du prix d’un ouvrage de littérature par la préface ou par le prospectus. Il en est de même des ballets ; il faut nécessairement les voir, & les voir plusieurs fois. Un homme d’esprit fera d’excellents programmes & fournira à un peintre les plus grandes idées ; mais le mérite consiste dans la distribution & dans l’exécution. Qu’on ouvre le Tasse, l’Arioste & quantité d’auteurs du même genre, on y puisera des sujets admirables à la lecture ; rien ne coûtera sur le papier ; les idées se multiplieront, tout sera facile, & quelques mots arrangés avec art présenteront à l’imagination une foule de choses agréables, mais qui ne seront plus telles dès que l’on essayera de les rendre ; & c’est alors que l’artiste connoîtra l’immensité de la distance du projet à l’exécution.

Je vais néanmoins en donner ici quelques-uns dans la persuasion où je suis qu’on ne me jugera pas sur l’esquisse mal crayonnée de quelques ballets reçus par le public avec des applaudissements qui ne m’ont point fait oublier que son indulgence fut toujours fort au-dessus de ces talents.

Je suis très-éloigné de prétendre que mes productions soient des chefs-d’œuvre ; des suffrages flatteurs pourroienr me persuader qu’elles ont quelque mérite, mais je suis encore plus convaincu qu’elles ne sont pas sans défaut. Quoi qu’il en soit, & ce peu de mérite & ces défauts m’appartiennent entièrement. Jamais je n’ai eu sous les yeux ces modèles excellents qui élèvent & qui inspirent. Si j’eusse été à portée de voir, peut-être aurois-je pu saisir. J’aurois du moins étudié l’art d’ajuster & d’accommoder à mes traits les agréments des autres ; & je me serois efforcé de me les rendre propres, ou du moins de m’en parer sans devenir ridicule. Cette privation d’objets instructifs a cependant excité en moi une émulation vive dont je n’aurois pas été peut-être animé, si j’avois eu la facilité de n’être qu’un imitateur froid & servile. La nature est le seul modèle que j’aie envisagé, & que je me sois proposé de suivre. Si mon imagination m’égare quelquefois, le goût, ou si l’on veut, une sorte d’instinct m’éclaire sur mes écans & me rappelle au vrai. Je détruis sans regret ce que j’ai créé avec le plus de peine, & mes ouvrages ne m’attachent que lorsqu’ils m’affectent véritablement. Il n’en est point qui me fatiguent autant que la composition des ballets de certains opéras. Les passe-pieds & les menuets me tuent ; la monotonie de la musique m’engourdit, & je deviens aussi pauvre qu’elle. Une musique au contraire expressive, harmonieuse & variée, telle que celle sur laquelle j’ai travaillé depuis quelque temps, me suggère mille idées & mille traits ; elle me transporte, elle m’élève, elle m’enflamme ; & je dois aux différentes impressions Qu’elle m’a fait éprouver & qui ont passé jusques dans mon ame, l’accord, l’ensemble, le saillant, le neuf, le feu, & cette multitude de caractères frappans & singuliers que des juges impartiaux ont cru pouvoir remarquer dans mes ballets ; effets naturels de la musique sur la danse, & de la danse sur la musique, lorsque les deux artistes se concilient, & lorsque les deux arts se marient, se réunissent, & se prêtent mutuellement ûes charmes pour séduire & pour plaire.

Il me seroit inutile sans doute de parler des Métamorphoses Chinoises, des réjouissances Flamandes, de la Mariée de village, des fêtes du Vauxhaall, des Recrues Prussiennes, du Bal paré, & d’un nombre considérable, peut-être trop grand, de ballets comiques presque dénués d’intrigue, destinés uniquement à l’amusement des yeux, & dont tout le mérite consiste dans la nouveauté des formes, dans la variété & dans le brillant des figures. Je ne me propose point aussi de parler de ceux que j’ai cru devoir traiter dans le grand, tels que les ballets que j’ai intitulés la Mort d’Ajax, le Jugement de Pâris, la Descente d’Orphée aux enfers, Renaud & Armide, &c. Je me tairai même sur ceux de la fontaine de Jouvence & des caprices de Galathée, & je commence par celui de la toilette de Vénus ou des Ruses de l’amour, ballet héroïque pantomime.

Le théâtre représente un sallon voluptueux, Vénus est à sa toilette & dans le déshabillé le plus galant ; les jeux & les plaisirs lui présentent à l’envi tout ce qui peut servir à sa parure ; les graces arrangent ses cheveux, l’amour lace un de ses brodequins ; de jeunes Nymphes sont occupées, les unes à composer un casque pour l’amour, celles-ci à placer des fleurs sur l’habit & sur la mante qui doit servir d’ornement à sa mère. La toilette finie, Vénus se retourne du côté de son fils, elle semble le consulter : le petit Dieu applaudit à sa beauté, il se jette avec transport dans ses bras ; & cette première scène offre ce que la volupté, la coquetterie & les graces ont de plus séduisant.

La seconde est uniquement employée à l’habillement de Vénus ; les graces se chargent de son ajustement ; une partie des Nymphes s’occupe à ranger la toilette, pendant que les autres apportent aux Graces les ajustements nécessaires ; les jeux & les plaisirs, non moins empressés à servir la déesse, tiennent, ceux-ci la boîte à rouge, ceux-là la boîte à mouches, le bouquet, le collier, les bracelets, &c., l’amour, dans une attitude élégante, se saisit du miroir, & voltige ainsi continuellement autour des Nymphes, qui, pour se venger de sa légèreté, lui arrachent son carquois & son bandeau ; il les poursuit, mais il est arrêté dans sa course par trois de ces mêmes Nymphes qui lui présentent son casque & un miroir. Il se couvre, il se mire ; il vole dans les bras de sa mère, & il médite en soupirant le dessein de se venger de l’espèce d’offense qui lui a été faite ; il supplie, il presse Vénus de l’aider dans son entreprise, en disposant leur ame à la tendresse par la peinture de tout ce que la volupté offre de plus touchant. Vénus alors déploie toutes ses graces ; ses mouvements, ses attitudes, ses regards sont l’image des plaisirs de l’amour même.

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