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tirer de la foule, & le distinguer de ces maîtres qui croient être au dessus de leur état, lorsqu’ils ont arrangé des pas, & formé des figures dont le dessin se borne à des ronds, des carrés, des lignes droites, des moulinets & des chaînes.

L’opéra n’est guère fait que pour les yeux & les oreilles ; il est moins le spectacle du cœur & de la raison, que celui de la variété & de l’amusement. On pourroit cependant lui donner une forme & un caractère plus intéressant ; mais cette matière étant étrangère à mon art & au sujet que je traite, je l’abandonne aux auteurs ingénieux qui peuvent remédier à la monomie de la féerie, & à l’ennui que le merveilleux traîne après lui. Je dirai simplement que la danse dans ce spectacle devroit être placée dans un jour plus avantageux ; j’avancerai seulement que l’opéra est son élément, que c’est-là que l’art devroit prendre de nouvelles forces & paroître avec le plus d’avantages ; mais par un malheur qui naît de l’entêtement des poëtes, ou de la mal-adresse des maîtres de ballets, la danse à ce spectacle ne tient à rien & ne dit rien ; elle est dans mille circonstances sipeu analogue au sujet & si indépendante du drame, que l’on pourroit la supprimer sans affoiblir l’intérêt, sans interrompre la marche des scènes & sans refroidir l’action. La plupart des poëtes modernes se servent des ballets comme d’un ornement de fantaisie qui ne peut ni soutenir l’ouvrage, ni lui prêter de la valeur ; & dans le fait ils n’ont pas tort, parce que les compositeurs n’ont pas senti qu’il falloit que les ballets tinssent au sujet, & que les auteurs les ont regardés comme des hors d’œuvre imaginés pour remplir le vuide des entr’actes ; mais ils auroient dû appercevoir que ces accessoires & ces épisodes étrangers à l’action, nuisent à l’ouvrage ; ces objets contraires & toujours désunis, ce chaos de choses mal cousues partagent l’attention, & fatiguent bien plus l’imagination qu’ils ne la satisfont ; dès-lors le plan de l’auteur disparoît, le fil échappe, la trame se brise, l’action s’évanouit, l’intérêt diminue, & le plaisir s’envole. Tant que les ballets de l’opéra ne seront pas étroitement unis au drame, & qu’ils ne concourront pas à son exposition, à son nœud & à son dénouement, ils seront froids & désagréables. Chaque ballet devroit, à mon fens, offrir une scène qui enchaînât & qui liât intimément le premier acte avec le second, le second avec le troisième, &c. Ces scènes, absolument nécessaires à la marche du drame, seroient vives & animées ; les danseurs seroient forcés d’abandonner leur allure, & de prendre une ame pour les rendre avec vérité & avec précision ; ils seroient contraints d’oublier en quelque sorte leurs pieds & leurs jambes, pour penser à leur physionomie & à leurs gestes ; chaque ballet seroit le complément de l’acte, & le termineront heureusement ; ces sujets puisés du fonds même du drame, seroient écrits par le poëte ; le musicien seroit chargé de les traduire avec fidélité ; & les danseurs de les réciter par le geste, & de les expliquer avec énergie. Par ce moyen, plus de vuide, plus d’inutilité, plus de longueur & plus de froid dans la danse de l’opéra ; tout seroit saillant & animé, tout marcheroit au but & de concert ; tout séduiroit, parce que tout seroit spirituel & paroîtroit dans un jour plus avantageux ; tout enfin feroit illusion & deviendroit intéressant, parce que tout seroit d’accord, & que chaque partie tenant la place qu’elle doit occuper naturellement, elles s’entre-aideroient & se prêteroient réciproquement des forces.

J’ai toujours regretté que Rameau n’ait pas associé son génie à celui de Quinault. Tous deux créateurs & tous deux pleins de génie, ils auroient été faits l’un pour l’autre ; mais le préjugé, le langage des connoisseurs sans connoissances ; de ces demi-savans qui ne savent rien, mais qui se font suivre de la multitude, tout a dégoûté Rameau & lui a fait abandonner les grandes idées qu’il avoit. Ajoutez à cela les désagremens que tout auteur essuie des directeurs de l’opéra. On leur paroît sans goût, si l’on n’est aussi gothique qu’eux ; ils traitent d’ignorans ceux qui n’adoptent point avec bonhomie les vieilles loix de ce spectacle, & les anciennes rubriques auxquelles ils sont attachés de père en fils. A peine est-il permis à un maître de ballets de faire changer le mouvement d’un air ancien ; on a beau leur dire que nos prédécesseurs avoient une exécution simple, que les airs lents s’ajustoient à la tranquillité &, au flegme de leur exécution : vains efforts ! ils connoissent les anciens mouvements, ils savent battre la mesure ; mais ils n’ont que des oreilles, & ne peuvent céder aux représentations que l’art agrandi peut leur faire ; ils regardent tout du but où ils sont restés, & ne peuvent pénétrer dans la carrière immense que les talens ont parcourue. La danse cependant, encouragée, applaudie & protégée, s’est dégagée depuis quelque temps des entraves que la musique vouloit lui donner. Non-seulement M. Lany fait exécuter les airs dans le vrai goût ; il en ajoute encore de modernes aux vieux opéras, & substitue aux chants simples & monotones de la musique de Lully, des morceaux pleins d’expression & de variété.

Les Italiens ont été à cet égard bien plus sages que nous. Moins constans pour leur ancienne musique, mais plus fidèles à Metastasio, ils l’ont & le font mettre encore touts les jours en musique par touts les maîtres de chapelle qui ont des talents. Les cours d’Allemagne, l’Espagne, le Portugal & l’Angleterre ont conservé pour ce grand poëte la même vénération ; la musique varie à l’infini, & les paroles, quoique toujours les mêmes, ont toujours le prix de la nouveauté ; chaque maître de musique donne à ce poëte une nouvelle expression, une nouvelle grâce ; tel sentiment négligé par l’un, est embelli par l’autre ; telle pensée affoiblie par celui-ci, est rendue avec énergie par celui-là ; tel beau vers énervé par Graun, est rendu avec

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