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LA TERRE.

Buteau avait eu son haussement brusque d’épaules : belle affaire de se révolter ! oui, pour que les gendarmes vous ramassent ! Tous, d’ailleurs, depuis que le petit livre contait les rébellions de leurs ancêtres, écoutaient les yeux baissés, sans hasarder un geste, pris de méfiance, bien qu’ils fussent entre eux. C’étaient des choses dont on ne devait pas causer tout haut, personne n’avait besoin de savoir ce qu’ils pensaient là-dessus. Jésus-Christ ayant voulu interrompre, pour crier qu’il tordrait le cou de plusieurs, à la prochaine, Bécu déclara violemment que tous les républicains étaient des cochons ; et il fallut que Fouan leur imposât silence, solennel, d’une gravité triste, en vieil homme qui en connaît long, mais qui ne veut rien dire. La Grande, tandis que les autres femmes semblaient s’intéresser de plus près à leur tricot, lâcha cette sentence : « Ce qu’on a, on le garde », sans que cela parût se rapporter à la lecture. Seule, Françoise, son ouvrage tombé sur les genoux, regardait Caporal, étonnée de ce qu’il lisait sans faute et si longtemps.

— Ah ! mon Dieu ! ah ! mon Dieu ! répéta Rose, en soupirant plus fort.

Mais le ton du livre changeait, il devenait lyrique, et des phrases célébraient la Révolution. C’était là que Jacques Bonhomme triomphait, dans l’apothéose de 89. Après la prise de la Bastille, pendant que les paysans brûlaient les châteaux, la nuit du 4 août avait légalisé les conquêtes des siècles, en reconnaissant la liberté humaine et l’égalité civile. « En une nuit, le laboureur était devenu l’égal du seigneur qui, en vertu de parchemins, buvait sa sueur et dévorait le fruit de ses veilles. » Abolition de la qualité de serf, de tous les privilèges de la noblesse, des justices ecclésiastiques et seigneuriales ; rachat en argent des anciens droits, égalité des impôts ; admission de tous les citoyens à tous les emplois civils et militaires. Et la liste continuait, les maux de cette vie semblaient disparaître un à un, c’était l’hosanna d’un nouvel âge d’or s’ouvrant pour le laboureur, qu’une page entière flagornait, en l’appelant le roi et le nourricier du monde. Lui seul impor-