Page:Emile Zola - La Terre.djvu/70

Cette page a été validée par deux contributeurs.
70
LES ROUGON-MACQUART.

— Hein ? qu’est-ce que tu dis ? Je vas t’apprendre le courage, mauvais Français !

— Je ne veux pas partir, je veux rester chez nous.

Le garde champêtre levait la main, lorsque Buteau l’arrêta.

— Laissez-le donc tranquille, cet enfant !… Il a raison. Est-ce qu’on a besoin de lui ? Il y en a d’autres… Avec ça qu’on vient au monde pour lâcher son coin, pour aller se faire casser la gueule, à cause d’un tas d’histoires dont on se fiche. Moi, je n’ai pas quitté le pays, je ne m’en porte pas plus mal.

En effet, il avait tiré un bon numéro, il était un vrai terrien, attaché au sol, ne connaissant qu’Orléans et Chartres, n’ayant rien vu, au delà du plat horizon de la Beauce. Et il semblait en tirer un orgueil, d’avoir ainsi poussé dans sa terre, avec l’entêtement borné et vivace d’un arbre. Il s’était mis debout, les femmes le regardaient.

— Quand ils rentrent du service, ils sont tous si maigres ! osa murmurer Lise.

— Et vous, Caporal, demanda la vieille Rose, vous êtes allé loin ?

Jean fumait sans une parole, en garçon réfléchi qui préférait écouter. Il ôta lentement sa pipe.

— Oui, assez loin comme ça… Pas en Crimée, pourtant. Je devais partir, quand on a pris Sébastopol… Mais, plus tard, en Italie…

— Et qu’est-ce que c’est, l’Italie ?

La question parut le surprendre, il hésita, fouilla ses souvenirs.

— Mais l’Italie, c’est comme chez nous. Il y a de la culture, il y a des bois avec des rivières… Partout, c’est la même chose.

— Alors, vous vous êtes battu ?

— Ah ! oui, battu, pour sûr !

Il s’était remis à sucer sa pipe, il ne se pressait pas ; et Françoise, qui avait levé les yeux, restait la bouche entr’ouverte, à attendre une histoire. Toutes, d’ailleurs,