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LES ROUGON-MACQUART.

retournât au massacre. Plus il en tuerait, plus la terre serait rouge, et plus il se sentirait vengé, dans cette sacrée vie de douleur et de misère que les hommes lui avaient faite !

Lorsque Jean fut descendu, il mangea deux œufs et un morceau de lard, que Flore lui servit. Ensuite, appelant Lengaigne, il régla son compte.

— Vous partez, Caporal ?

— Oui.

— Vous partez, mais vous reviendrez ?

— Non.

Le cabaretier, étonné, le regardait, tout en réservant ses réflexions. Alors, ce grand nigaud renonçait à son droit ?

— Et qu’est-ce que vous allez faire, à cette heure ? Peut-être bien que vous redevenez menuisier ?

— Non, soldat.

Lengaigne, du coup, les yeux ronds de stupéfaction, ne put retenir un rire de mépris. Ah ! l’imbécile !

Jean avait déjà pris la route de Cloyes, lorsqu’un dernier attendrissement l’arrêta et lui fit remonter la côte. Il ne voulait pas quitter Rognes sans dire adieu à la tombe de Françoise. Puis, c’était autre chose aussi, le désir de revoir une fois encore se dérouler la plaine immense, la triste Beauce, qu’il avait fini par aimer, dans ses longues heures solitaires de travail.

Derrière l’église, le cimetière s’ouvrait, enclos d’un petit mur à moitié détruit, si bas, que, du milieu des tombes, le regard allait librement d’un bout à l’autre de l’horizon. Un pâle soleil de mars blanchissait le ciel, voilé de vapeurs, d’une finesse de soie blanche, à peine avivée d’une pointe de bleu ; et, sous cette lumière douce, la Beauce, engourdie des froids de l’hiver, semblait s’attarder au sommeil, comme ces dormeuses qui ne dorment plus tout à fait, mais qui évitent de remuer, pour jouir de leur paresse. Les lointains se noyaient, la plaine en semblait élargie, étalant les carrés déjà verts des blés, des avoines et des seigles d’automne ; tandis que, dans les labours restés nus, on avait commencé les semailles de printemps.