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LA TERRE.

dents prêtes à mordre, les regards aigus, luisants comme des couteaux.

— C’est fini, va-t’en !… Plutôt que d’aller avec toi, je préférerais ne revoir jamais d’homme… Va-t’en, va-t’en, va-t’en !

Et Tron s’en alla, à reculons, dans une retraite de bête carnassière et lâche, cédant à la crainte, remettant sournoisement sa vengeance. Il la regarda, il dit encore.

— Morte ou vivante, j’aurai ta peau !

Jacqueline, quand il fut sorti de la ferme, eut un soupir de bon débarras. Puis, se retournant, frémissante, elle ne s’étonna point de voir Jean, elle s’écria dans un élan de franchise :

— Ah ! la canaille, ce que je le ferais pincer par les gendarmes, si je ne craignais d’être emballée avec lui !

Jean restait glacé. Une réaction nerveuse se produisait, d’ailleurs, chez la jeune femme : elle étouffa, elle tomba dans ses bras, en sanglotant, en répétant qu’elle était malheureuse, oh ! malheureuse, bien malheureuse ! Ses larmes coulaient sans fin, elle voulait être plainte, être aimée, elle s’attachait à lui, comme si elle avait désiré que celui-ci l’emportât et la gardât. Et il commençait à être très ennuyé, lorsque le beau-frère du mort, le notaire Baillehache, qu’un valet de la ferme était allé prévenir, sauta de son cabriolet, dans la cour. Alors, Jacqueline courut à lui, étala son désespoir.

Jean, qui s’était échappé de la cuisine, se retrouva en plaine rase, sous un ciel pluvieux de mars. Mais il ne voyait rien, bouleversé par cette histoire, dont le frisson s’ajoutait au chagrin de son malheur à lui. Il avait son compte de malechance, un égoïsme lui faisait hâter le pas, malgré son apitoiement sur le sort de son ancien maître Hourdequin. Ce n’était guère son rôle de vendre la Cognette et son galant, la justice n’avait qu’à ouvrir l’œil. Deux fois, il se retourna, croyant qu’on le rappelait, comme s’il se fût senti complice. Devant les premières maisons de Rognes seulement, il respira ; et il se disait, maintenant, que le fermier était mort de son péché, il songeait à cette grande