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LES ROUGON-MACQUART.

Dès que Jean fut entré, elle parla, se soulagea d’une voix étranglée.

— Je l’avais bien dit, je voulais qu’on le changeât de place, ce trou !… Mais qui donc a pu le laisser ouvert ? Je suis certaine qu’il était fermé hier soir, quand je suis montée… Depuis ce matin, je suis là, à me creuser la tête.

— Le maître est descendu avant vous ? demanda Jean, que l’accident stupéfiait.

— Oui, le jour pointait à peine… Je dormais. Il m’a semblé qu’une voix l’appelait d’en bas. J’ai dû rêver… Souvent, il se levait de la sorte, descendait toujours sans lumière, pour surprendre les serviteurs au saut du lit… Il n’aura pas vu le trou, il sera tombé. Mais qui donc, qui donc a laissé cette trappe ouverte ? Ah ! j’en mourrai !

Jean, qu’un soupçon venait d’effleurer, l’écarta aussitôt. Elle n’avait aucun intérêt à cette mort, son désespoir était sincère.

— C’est un grand malheur, murmura-t-il.

— Oh ! oui, un grand malheur, un très grand malheur, pour moi !

Elle s’affaissa sur une chaise, accablée, comme si les murs croulaient autour d’elle. Le maître qu’elle comptait épouser enfin ! le maître qui avait juré de lui tout laisser par testament ! Et il était mort, sans avoir le temps de rien signer. Et elle n’aurait pas même des gages, le fils allait revenir, la jetterait dehors à coups de botte, comme il l’avait promis. Rien ! quelques bijoux et du linge, ce qu’elle avait sur la peau ! Un désastre, un écrasement !

Ce que Jacqueline ne disait pas, n’y songeant plus, c’était le renvoi du berger Soulas, qu’elle avait obtenu la veille. Elle l’accusait d’être trop vieux, de ne point suffire, enragée de le trouver sans cesse derrière son dos, à l’espionner ; et Hourdequin, bien que n’étant pas de son avis, avait cédé, tellement il pliait sous elle maintenant, dompté, réduit à lui acheter des nuits heureuses par une soumission d’esclave. Soulas, congédié avec de bonnes paroles et des promesses, regardait le maître fixement de ses yeux pâles. Puis, lentement, il s’était mis à lâcher