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LES ROUGON-MACQUART.

des bouquets de saules et de peupliers. Mais, sur la rive droite, commençait le village, une double file de façades bordant la route, tandis que d’autres escaladaient le coteau, plantées au hasard ; et, tout de suite après le pont, se trouvaient la mairie et l’école, une ancienne grange surélevée d’un étage, badigeonnée à la chaux. Un instant, l’abbé hésita, allongea la tête dans le vestibule vide. Puis, il se tourna, il parut fouiller d’un coup d’œil deux cabarets, en face : l’un, avec une devanture propre, garnie de bocaux, surmontée d’une petite enseigne de bois jaune, où se lisait en lettres vertes : Macqueron épicier ; l’autre, à la porte simplement ornée d’une branche de houx, étalant en noir sur le mur grossièrement crépi ces mots : Tabac, chez Lengaigne. Et, entre les deux, il se décidait à prendre une ruelle escarpée, un raidillon qui menait droit devant l’église, lorsque la vue d’un vieux paysan l’arrêta.

— Ah ! c’est vous, père Fouan… Je suis pressé, je désirais aller vous voir… Que faisons-nous, dites ? Il n’est pas possible que votre fils Buteau laisse Lise dans sa position, avec ce ventre qui grossit et qui crève les yeux… Elle est fille de la Vierge, c’est une honte, une honte !

Le vieux l’écoutait, d’un air de déférence polie.

— Dame ! monsieur le curé, que voulez-vous que j’y fasse, si Buteau s’obstine ?… Et puis, le garçon a tout de même de la raison, ce n’est guère à son âge qu’on se marie, avec rien.

— Mais il y a un enfant !

— Bien sûr… Seulement, il n’est pas encore fait, cet enfant. Est-ce qu’on sait ?… Tout juste, c’est ça qui n’encourage guère, un enfant, quand on n’a pas de quoi lui coller une chemise sur le corps !

Il disait ces choses sagement, en vieillard qui connaît la vie. Puis, de la même voix mesurée, il ajouta :

— D’ailleurs, ça va s’arranger peut-être… Oui, je partage mon bien, on tirera les lots tout à l’heure, après la messe… Alors, quand il aura sa part, Buteau verra, j’espère, à épouser sa cousine.