Page:Emile Zola - La Terre.djvu/457

Cette page a été validée par deux contributeurs.
457
LA TERRE.

— Ah ! le bourru ! s’écria la Grande, il en crèverait de mauvais sang !

Mais l’entrée de Fanny les fit taire. De toute la famille, elle était la seule qui fût déjà venue la veille ; et elle revenait, pour avoir des nouvelles. Jean, de sa main tremblante, se contenta de lui montrer Françoise. Un silence apitoyé régna. Puis, Fanny baissa la voix pour savoir si la malade avait demandé sa sœur. Non, elle n’en ouvrait pas la bouche, comme si Lise n’eût point existé. C’était bien surprenant, car on a beau être brouillé, la mort est la mort : quand donc ferait-on la paix, si on ne la faisait pas avant de partir ?

La Grande fut d’avis qu’on devait questionner Françoise là-dessus. Elle se leva, elle se pencha.

— Dis, ma petite, et Lise ?

La mourante ne bougea pas. Il n’y eut, sur ses paupières closes, qu’un tressaillement à peine visible.

— Elle attend peut-être qu’on aille la chercher. J’y vais.

Alors, toujours sans ouvrir les yeux, Françoise dit non, en roulant la tête sur l’oreiller, doucement. Et Jean voulut qu’on respectât sa volonté. Les trois femmes se rassirent. L’idée que Lise ne venait pas d’elle-même, maintenant, les étonnait. Il y avait souvent bien de l’obstination dans les familles.

— Ah ! on a tant de contrariétés ! reprit Fanny avec un soupir. Ainsi, depuis ce matin, je ne vis plus, moi, à cause de ce tirage au sort ; et ce n’est guère raisonnable, car je sais pourtant que Nénesse ne partira pas.

— Oui, oui, murmura la Frimat, ça émotionne tout de même.

De nouveau, la mourante fut oubliée. On parlait de la chance, des garçons qui partiraient, des garçons qui ne partiraient pas. Il était trois heures, et bien qu’on les attendît, au plus tôt, vers cinq heures, des renseignements déjà circulaient, venus de Cloyes on ne savait comment, par cette sorte de télégraphie aérienne qui vole de village en village. Le fils aux Briquet avait le numéro 13 : pas