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LA TERRE.

moitié des meubles et de l’argent, cent vingt-sept francs qui se trouvaient dans la commode. Il l’aimait bien, il aurait donné de sa chair pour la garder ; mais ça augmentait encore son chagrin, cette pensée qu’il pouvait perdre avec elle la terre et la maison. Jusque là, pourtant, il n’avait point osé lui en ouvrir la bouche : c’était si dur, et puis il y avait toujours eu du monde. Enfin, voyant qu’il n’en saurait pas davantage sur la façon dont l’accident s’était produit, il se décida, il aborda l’autre affaire.

— Peut-être bien que tu as des arrangements à terminer.

Françoise, raidie, ne parut pas entendre. Sur ses yeux clos, sur sa face fermée, rien ne passait.

— Tu sais, à cause de ta sœur, dans le cas où un malheur t’arriverait… Nous avons le papier là, dans la commode.

Il apporta le papier timbré, il continua d’une voix qui s’embarrassait.

— Hein ? désires-tu que je t’aide ? Savoir si tu as encore la force d’écrire… Moi, ce n’est pas l’intérêt. C’est seulement l’idée que tu ne peux rien vouloir laisser aux gens qui t’ont fait tant de mal.

Elle eut un léger frisson des paupières, qui lui prouva qu’elle entendait. Alors, elle refusait donc ? Il en resta saisi, sans comprendre. Elle-même, peut-être, n’aurait pu dire pourquoi elle faisait ainsi la morte, avant d’être clouée entre quatre planches. La terre, la maison, n’étaient pas à cet homme, qui venait de traverser son existence par hasard, comme un passant. Elle ne lui devait rien, l’enfant partait avec elle. À quel titre le bien serait-il sorti de la famille ? Son idée puérile et têtue de la justice protestait : ceci est à moi, ceci est à toi, quittons-nous, adieu ! Oui, c’étaient ces choses, et c’étaient d’autres choses encore, plus vagues, sa sœur Lise reculée, perdue dans un lointain, Buteau seul présent, aimé malgré les coups, désiré, pardonné.

Mais Jean s’irrita, gagné et empoisonné lui aussi par la passion de la terre. Il la souleva, tâcha de l’asseoir sur