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LES ROUGON-MACQUART.

Jean, ayant terminé, eut l’idée d’aller tout de suite à la Borderie chercher la semence promise. Il détela, laissa la charrue au bout du champ, sauta sur son cheval. Comme il s’éloignait, la pensée de Fouan lui revint, il le chercha et ne le trouva plus. Sans doute, le vieux s’était mis à l’abri du froid, derrière une meule de paille, restée dans la pièce aux Buteau.

À la Borderie, après avoir attaché sa bête, Jean appela inutilement ; tout le monde devait être en besogne dehors ; et il était entré dans la cuisine vide, il tapait du poing sur la table, lorsqu’il entendit enfin la voix de Jacqueline monter de la cave, où se trouvait la laiterie. On y descendait par une trappe, qui s’ouvrait au pied même de l’escalier, si mal placée, qu’on redoutait toujours des accidents.

— Hein ? qui est-ce ?

Il s’était accroupi sur la première marche du petit escalier raide, et elle le reconnut d’en bas.

— Tiens, Caporal !

Lui aussi la voyait, dans le demi-jour de la laiterie, éclairée par un soupirail. Elle travaillait là, au milieu des jattes, des crémoirs, d’où le petit-lait s’en allait goutte à goutte, dans une auge de pierre ; et elle avait les manches retroussées jusqu’aux aisselles, ses bras nus étaient blancs de crème.

— Descends donc… Est-ce que je te fais peur ?

Elle le tutoyait comme autrefois, elle riait de son air de fille engageante. Mais lui, gêné, ne bougeait pas.

— C’est pour la semence que le maître m’a promise.

— Ah ! oui, je sais… Attends, je monte.

Et, quand elle fut au grand jour, il la trouva toute fraîche, sentant bon le lait, avec ses bras nus et blancs. Elle le regardait de ses jolis yeux pervers, elle finit par demander d’un air de plaisanterie :

— Alors, tu ne m’embrasses pas ?… Ce n’est pas parce qu’on est marié qu’on doit être mal poli.

Il l’embrassa, en affectant de faire claquer fortement les deux baisers sur les joues, pour dire que c’était simplement