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LA TERRE.

le crépuscule qui tombait, une terreur de recommencer l’autre nuit, sous ce déluge entêté. Le froid le reprenait jusque dans les os, la faim lui rongeait la poitrine, intolérable. Lorsque le ciel fut noir, il se sentit comme noyé, emporté par ces ténèbres ruisselantes ; sa tête ne commandait plus, ses jambes marchaient toutes seules, la bête l’emmenait ; et ce fut alors que, sans l’avoir voulu, il se retrouva dans la cuisine des Buteau, dont il venait de pousser la porte.

Justement, Buteau et Lise achevaient la soupe aux choux de la veille. Lui, au bruit, avait tourné la tête, et il regardait Fouan, silencieux, fumant dans ses vêtements trempés. Un long temps se passa, il finit par dire, avec un ricanement :

— Je savais bien que vous n’auriez pas de cœur.

Le vieux, fermé, figé, n’ouvrit pas les lèvres, ne prononça pas un mot.

— Allons, la femme, donne-lui tout de même la pâtée, puisque la faim le ramène.

Déjà, Lise s’était levée et avait apporté une écuelle de soupe. Mais Fouan reprit l’écuelle, alla s’asseoir à l’écart, sur un tabouret, comme s’il avait refusé de se mettre à la table, avec ses enfants ; et, goulûment, par grosses cuillerées, il avala. Tout son corps tremblait, dans la violence de sa faim. Buteau, lui, achevait de dîner sans hâte, se balançant sur sa chaise, piquant de loin des morceaux de fromage, qu’il mangeait au bout de son couteau. La gloutonnerie du vieillard l’occupait, il suivait la cuillère des yeux, il goguenarda.

— Dites donc, ça paraît vous avoir ouvert l’appétit, cette promenade au frais. Mais faudrait pas se payer ça tous les jours, vous coûteriez trop à nourrir.

Le père avalait, avalait, avec un bruit rauque du gosier, sans une parole. Et le fils continua :

— Ah ! ce bougre de farceur qui découche ! Il est peut-être allé voir les garces… C’est donc ça qui vous a creusé, hein ?

Pas de réponse encore, le même entêtement de silence,