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LES ROUGON-MACQUART.

— Alors, vous avez un coin pour moi ? demanda-t-il encore.

Buteau semblait ragaillardi par ce retour imprévu de son père. C’était de l’argent qui revenait.

— Mais bien sûr, vieux ! On se serrera donc ! Ça nous portera chance… Ah ! nom de Dieu ! je serais riche, s’il ne s’agissait que d’avoir du cœur !

Françoise et Jean étaient entrés lentement dans la maison vide. La nuit tombait, une dernière lueur triste éclairait les pièces silencieuses. Tout cela était très ancien, ce toit patrimonial qui avait abrité le travail et la misère de trois siècles ; si bien que quelque chose de grave traînait là, comme dans l’ombre des vieilles églises de village. Les portes étaient restées ouvertes, un coup d’orage semblait avoir soufflé sous les poutres, des chaises gisaient par terre, en déroute, au milieu de la débâcle du déménagement. On aurait dit une maison morte.

Et Françoise, à petits pas, faisait le tour, regardait partout. Des sensations confuses, des souvenirs vagues s’éveillaient en elle. À cette place, elle avait joué enfant. C’était dans la cuisine, près de la table, que son père était mort. Dans la chambre, devant le lit sans paillasse, elle se rappela Lise et Buteau, les soirs où ils se prenaient si rudement, qu’elle les entendait souffler à travers le plafond. Est-ce que, maintenant encore, ils allaient la tourmenter ? Elle sentait bien que Buteau était toujours présent. Ici, il l’avait empoignée un soir, et elle l’avait mordu. Là aussi, là aussi. Dans tous les coins, elle retrouvait des idées qui l’emplissaient de trouble.

Puis, comme Françoise se retournait, elle resta surprise d’apercevoir Jean. Que faisait-il donc chez eux, cet étranger ? Il avait un air de gêne, il paraissait en visite, n’osant toucher à rien. Une sensation de solitude la désola, elle fut désespérée de ne pas être plus joyeuse de sa victoire. Elle aurait cru entrer là en criant de contentement, en triomphant derrière le dos de sa sœur. Et la maison ne lui faisait pas plaisir, elle avait le cœur barbouillé de malaise. C’était peut-être ce jour si mélancolique qui tom-