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VI


La semaine se passa, Françoise s’entêtait à ne pas rentrer chez sa sœur, et il y eut une scène abominable, sur la route : Buteau, qui la traînait par les cheveux, dut la lâcher, cruellement mordu au pouce ; si bien que Macqueron prit peur et qu’il mit lui-même la jeune fille à la porte, en lui déclarant que, comme représentant de l’autorité, il ne pouvait l’encourager davantage dans sa révolte.

Mais justement la Grande passait, et elle emmena Françoise. Âgée de quatre-vingt-huit ans, elle ne se préoccupait de sa mort que pour laisser à ses héritiers, avec sa fortune, le tracas de procès sans fin : une complication de testament extraordinaire, embrouillée par plaisir, où sous le prétexte de ne faire du tort à personne, elle les forçait de se dévorer tous ; une idée à elle, puisqu’elle ne pouvait emporter ses biens, de s’en aller au moins avec la consolation qu’ils empoisonneraient les autres. Et elle n’avait de la sorte pas de plus gros amusement que de voir la famille se manger. Aussi s’empressa-t-elle d’installer sa nièce dans sa maison, combattue un instant par sa ladrerie, décidée tout de suite à la pensée d’en tirer beaucoup de travail contre peu de pain. En effet, dès le soir, elle lui fit laver l’escalier et la cuisine. Puis, lorsque Buteau se présenta, elle le reçut debout, de son bec mauvais de vieil oiseau de proie ; et lui, qui parlait de tout casser chez Macqueron, il trembla, il bégaya, paralysé par l’espoir de l’héritage, n’osant entrer en lutte avec la terrible Grande.

— J’ai besoin de Françoise, je la garde, puisqu’elle ne se plaît pas chez vous… Du reste, la voici majeure, vous avez des comptes à lui rendre. Faudra en causer.