Page:Emile Zola - La Terre.djvu/350

Cette page a été validée par deux contributeurs.
350
LES ROUGON-MACQUART.

goulûment de son absence, pour s’empiffrer de raisin ; et elle tomba sur lui à coups de canne : cochon à l’auge qui en gâtait plus qu’il n’en gagnait !

— En v’là une, la tante, qui fera plaisir, quand elle claquera ! dit Buteau, en s’asseyant un instant près de son père, pour le flatter. Si c’est gentil, d’abuser de cet innocent, parce qu’il est fort et bête comme un âne !

Ensuite, il attaqua les Delhomme, qui se trouvaient en contre-bas, au bord de la route. Ils avaient le plus beau vignoble du pays, près de deux hectares d’un seul tenant, où ils étaient bien une dizaine à s’occuper. Leurs vignes très soignées donnaient des grappes comme pas un voisin n’en récoltait ; et ils en étaient si orgueilleux, qu’ils avaient l’air de vendanger à l’écart, sans s’égayer seulement des coliques brusques qui forçaient les filles à galoper. Sans doute, ça leur aurait cassé les jambes, de monter saluer leur père, car ils ne semblaient pas savoir qu’il était là. Cet empoté de Delhomme, un rude serin, avec sa pose au bon travail et à la justice ! et cette pie-grièche de Fanny, toujours à se fâcher pour une vesse de travers, exigeant qu’on l’adorât comme une image, sans même s’apercevoir des saletés qu’elle faisait aux autres !

— Le vrai, père, continua Buteau, c’est que je vous aime bien, tandis que mon frère et ma sœur… Vous savez, j’en ai encore le cœur gros, qu’on se soit quitté pour des foutaises.

Et il rejeta la chose sur Françoise, à qui Jean avait tourné la tête. Mais elle se tenait tranquille, à cette heure. Si elle bougeait, il était décidé à lui rafraîchir le sang, au fond de la mare.

— Voyons, père, faut se tâter… Pourquoi ne reviendriez-vous pas ?

Fouan resta muet, prudemment. Il s’attendait à cette offre, que son cadet lâchait enfin ; et il désirait ne répondre ni oui, ni non, parce qu’on ne savait jamais. Alors, Buteau continua, en s’assurant que son frère était à l’autre bout de la vigne :

— N’est-ce pas ? ce n’est guère votre place, chez cette