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LA TERRE.

lots ; et ça, mes enfants, nous allons le faire ensemble… Hein ? dites-moi un peu comment vous entendez la chose.

Le jour avait grandi, un vent glacé poussait dans le ciel pâle des vols continus de gros nuages ; et la Beauce, flagellée, s’étendait, d’une tristesse morne. Aucun d’eux, du reste, ne semblait sentir ce souffle du large, gonflant les blouses, menaçant d’emporter les chapeaux. Les cinq, endimanchés pour la gravité de la circonstance, ne parlaient plus. Au bord de ce champ, au milieu de l’étendue sans bornes, ils avaient la face rêveuse et figée, la songerie des matelots, qui vivent seuls, par les grands espaces. Cette Beauce plate, fertile, d’une culture aisée, mais demandant un effort continu, a fait le Beauceron froid et réfléchi, n’ayant d’autre passion que la terre.

— Faut tout partager en trois, finit par dire Buteau.

Grosbois hocha la tête, et une discussion s’engagea. Lui, acquis au progrès par ses rapports avec les grandes fermes, se permettait parfois de contrecarrer ses clients de la petite propriété, en se déclarant contre le morcellement à outrance. Est-ce que les déplacements et les charrois ne devenaient pas ruineux, avec des lopins larges comme des mouchoirs ? est-ce que c’était une culture, ces jardinets, où l’on ne pouvait améliorer les assolements, ni employer les machines ? Non, la seule chose raisonnable était de s’entendre, de ne pas découper un champ ainsi qu’une galette, un vrai meurtre ! Si l’un se contentait des terres de labour, l’autre s’arrangeait des prairies : enfin, on arrivait à égaliser les lots, et le sort décidait.

Buteau, dont la jeunesse riait volontiers encore, le prit sur un ton de farce.

— Et si je n’ai que du pré, moi, qu’est-ce que je mangerai ? de l’herbe alors !… Non, non, je veux de tout, du foin pour la vache et le cheval, du blé et de la vigne pour moi.

Fouan, qui écoutait, approuva d’un signe. De père en