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LES ROUGON-MACQUART.

la mauvaise humeur pour huit jours. Il épluchait rageusement le foncier, la taxe personnelle, la taxe mobilière, l’impôt des portes et fenêtres ; mais ses grandes colères étaient les centimes additionnels, qui montaient d’année en année, disait-il. Puis, il attendait de recevoir une sommation sans frais. Ça lui faisait toujours gagner une semaine. Il payait ensuite par douzième, chaque mois, en allant au marché ; et, chaque mois, la même torture recommençait, il en tombait malade la veille, il apportait son argent comme il aurait apporté son cou à couper. Ah ! ce sacré gouvernement ! en voilà un qui volait le monde !

— Tiens ! c’est vous, dit gaillardement M. Hardy. Vous faites bien de venir, j’allais vous faire des frais.

— Il n’aurait plus manqué que ça ! grogna Buteau. Et vous savez que je ne paye pas les six francs dont vous m’avez augmenté le foncier… Non, non, ce n’est pas juste !

Le percepteur se mit à rire.

— Si, chaque mois, vous chantez cet air-là ! Je vous ai déjà expliqué que votre revenu avait dû s’accroître avec vos plantations, sur votre ancien pré de l’Aigre. Nous nous basons là-dessus, nous autres !

Mais Buteau se débattit violemment. Ah ! oui, son revenu s’accroître ! C’était comme son pré, autrefois de soixante-dix ares, qui n’en avait plus que soixante-huit, depuis que la rivière, en se déplaçant, lui en avait mangé deux : eh bien ! il payait toujours pour les soixante-dix, est-ce que c’était de la justice, ça ? M. Hardy répondit tranquillement que les questions cadastrales ne le regardaient pas, qu’il fallait attendre qu’on refît le cadastre. Et, sous prétexte de reprendre ses explications, il l’accabla de chiffres, de mots techniques auxquels l’autre ne comprenait rien. Puis, de son air goguenard, il conclut :

— Après tout, ne payez pas, je m’en fiche, moi ! Je vous enverrai l’huissier.

Effrayé, ahuri, Buteau rentra sa rage. Quand on n’est pas le plus fort, faut bien céder ; et sa haine séculaire