Page:Emile Zola - La Terre.djvu/302

Cette page a été validée par deux contributeurs.
302
LES ROUGON-MACQUART.

Celle-ci se ramassa, pleurante, saignante, la joue enflée. Et elle se jeta sur sa sœur, elle cria :

— Salope ! couche avec, à la fin !… J’en ai assez, je file, moi ! si tu t’obstines, pour me faire battre !

Françoise l’écoutait, saisie, toute pâle.

— Aussi vrai que Dieu m’entend, j’aime mieux ça !… Il nous fichera la paix peut-être !

Elle était retombée sur une chaise, elle pleurait à petits sanglots ; et toute sa grasse personne qui fondait, disait son abandon, son unique désir d’être heureuse, même au prix d’un partage. Du moment qu’elle garderait sa part, ça ne la priverait de rien. On se faisait des idées bêtes là-dessus, car ce n’était bien sûr pas comme le pain qui s’use à être mangé. Est-ce qu’on n’aurait pas dû s’entendre, se serrer les uns contre les autres pour le bon accord, enfin vivre en famille ?

— Voyons, pourquoi ne veux-tu pas ?

Révoltée, étranglée, Françoise ne trouva que ce cri de colère :

— Tu es plus dégoûtante que lui !

Elle s’en alla de son côté sangloter dans l’étable, où la Coliche la regarda de ses gros yeux troubles. Ce qui l’indignait, ce n’était pas la chose en elle-même, c’était ce rôle de complaisance, le coup de noce toléré, la paix du ménage. Si elle avait eu l’homme à elle, jamais elle n’en aurait cédé un bout, pas même grand comme ça ! Sa rancune contre sa sœur devint du mépris, elle se jura d’y laisser toute la peau de son corps, plutôt que de consentir, à présent.

Mais, dès ce jour, la vie se gâta davantage, Françoise devint le souffre-douleur, la bête sur qui l’on tapait. Elle était rabaissée au rôle de servante, écrasée de gros travaux, continuellement grondée, bousculée, meurtrie. Lise ne lui tolérait plus une heure de flâne, la faisait sauter du lit avant l’aube, la gardait si tard, la nuit, que la malheureuse, parfois, s’endormait, sans avoir la force de se déshabiller. Sournoisement, Buteau la martyrisait de petites privautés, des claques sur les reins, des pinçons