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LES ROUGON-MACQUART.

lorsque Lise était dans la pièce d’à côté, même dans la même pièce, le dos tourné pour ranger le linge d’une armoire, comme si la présence de sa femme l’eût excité, certain du silence fier et têtu de la gamine.

Cependant, depuis que le père Fouan les avait vus sur les pommes de terre, des querelles éclataient. Il était allé dire crûment la chose à Lise, pour qu’elle empêchât son mari de recommencer ; et celle-ci, après lui avoir crié de se mêler de ses affaires, s’était emportée contre sa cadette : tant pis pour elle, si elle agaçait les hommes ! car autant d’hommes, autant de cochons, fallait s’y attendre ! Le soir, pourtant, elle avait fait à Buteau une telle scène, que, le lendemain, elle était sortie de leur chambre avec un œil à demi fermé et noir d’un coup de poing, égaré pendant l’explication. Dès ce moment, les colères ne cessèrent plus, se gagnèrent des uns aux autres : il y en avait toujours deux qui se mangeaient, le mari et la femme, ou la belle-sœur et le mari, ou la sœur et la sœur, quand les trois n’étaient pas à se dévorer ensemble.

Ce fut alors que la haine lente, inconsciente, s’aggrava entre Lise et Françoise. Leur bonne tendresse de jadis en arrivait à une rancune sans raison apparente, qui les heurtait du matin au soir. Au fond, la cause unique était l’homme, ce Buteau, tombé là comme un ferment destructeur. Françoise, dans le trouble dont il l’exaspérait, aurait succombé depuis longtemps, si sa volonté ne s’était bandée contre le besoin de se laisser faire, chaque fois qu’il la touchait. Elle s’en punissait durement, entêtée à cette idée simple du juste, ne rien donner d’elle, ne rien prendre aux autres ; et sa colère était de se sentir jalouse, d’exécrer sa sœur, parce que celle-ci avait à elle cet homme, près duquel elle-même serait morte d’envie, plutôt que de partager. Quand il la poursuivait, débraillé, le ventre en avant, elle crachait furieusement sur sa nudité de mâle, elle le renvoyait à sa femme, avec ce crachat : c’était un soulagement à son désir combattu, comme si elle eût craché au visage de sa sœur, dans le mépris douloureux du plaisir dont elle n’était pas. Lise, elle, n’avait point de