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LA TERRE.

matinée ; et il finit par consentir, en recommandant d’être exact, décidé, criait-il, à ne pas attendre une seconde.

Le mardi, à deux heures précises, l’abbé Godard était à l’église, essoufflé de sa course, mouillé par une averse brusque. Personne n’était encore arrivé. Il n’y avait qu’Hilarion, à l’entrée de la nef, en train de déblayer un coin du baptistère, encombré de vieilles dalles rompues, qu’on avait toujours vues là. Depuis la mort de sa sœur, l’infirme vivait de la charité publique, et le curé, qui lui glissait de temps en temps des pièces de vingt sous, avait eu l’idée de l’occuper à ce nettoyage, vingt fois résolu et sans cesse remis. Pendant quelques minutes, il s’intéressa à ce travail. Puis, il eut un premier sursaut de colère.

— Ah ! ça, est-ce qu’ils se fichent de moi ? Il est déjà deux heures dix.

Comme il regardait, de l’autre côté de la place, la maison des Buteau, muette, l’air endormi, il aperçut le garde champêtre qui attendait sous le porche, en fumant sa pipe.

— Sonnez donc, Bécu ! cria-t-il. Ça les fera venir, ces lambins !

Bécu se pendit à la corde de la cloche, très ivre, comme toujours. Le curé était allé mettre son surplis. Dès le dimanche, il avait préparé l’acte sur le registre, et il comptait expédier la cérémonie seul, sans l’aide des enfants de chœur, qui le faisaient damner. Lorsque tout se trouva prêt, il s’impatienta de nouveau. Dix autres minutes s’étaient écoulées, la cloche continuait de sonner, entêtée, exaspérante, dans le grand silence du village désert.

— Mais qu’est-ce qu’ils font ? mais faudra donc les amener par les oreilles !

Enfin, il vit sortir, de chez les Buteau, la Grande, qui marchait de son air de vieille reine méchante, aussi droite et sèche qu’un chardon, malgré ses quatre-vingt-cinq ans. Un gros ennui effarait la famille : tous les invités étaient là, sauf la marraine, qu’on attendait vainement depuis le matin ; et M. Charles, confondu, répétait sans cesse que c’était bien étonnant, qu’il avait encore reçu une lettre