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et il s’échappa un instant, après avoir confié ses chevaux à un camarade.

— Tiens, c’est vous, Jean ! cria Lise, relevée gaillardement de ses couches. On ne vous voit plus. Qu’arrive-t-il ?

Il s’excusa. Puis, en hâte, avec la brutalité des gens timides, il aborda la chose ; et elle put croire d’abord qu’il lui faisait une déclaration, car il lui rappelait qu’il l’avait aimée, qu’il l’aurait eue volontiers pour femme. Mais, tout de suite, il ajouta :

— Alors, c’est pourquoi j’épouserais tout de même Françoise, si on me la donnait.

Elle le regarda, tellement surprise, qu’il se mit à bégayer.

— Oh ! je sais, ça ne se fait pas comme ça… Je voulais seulement vous en parler.

— Dame ! répondit-elle enfin, ça me surprend, parce que je ne m’y attendais guère, à cause de vos âges… Avant tout, faudrait savoir ce que Françoise en pense.

Il était venu avec le projet formel de tout dire, dans l’espoir de rendre le mariage nécessaire. Mais un scrupule, au dernier moment, l’arrêta. Si Françoise ne s’était pas confessée à sa sœur, si personne ne savait rien, avait-il le droit de parler le premier ? Cela le découragea, il eut honte, à cause de ses trente-trois ans.

— Bien sûr, murmura-t-il, on lui en causerait, on ne la forcerait pas.

D’ailleurs, Lise, son étonnement passé, le regardait de son air réjoui ; et la chose, évidemment, ne lui déplaisait pas. Même elle fut tout à fait engageante.

— Ce sera comme elle voudra, Jean… Moi, je ne suis pas de l’avis de Buteau, qui la trouve trop jeune. Elle va sur ses dix-huit ans, elle est bâtie à prendre deux hommes au lieu d’un… Et puis, on a beau s’aimer entre sœurs, n’est-ce pas ? maintenant que la voilà femme, je préférerais avoir à sa place une servante que je commanderais… Si elle dit oui, épousez-la. Vous êtes un bon sujet, ce sont les plus vieux coqs souvent qui sont les meilleurs.

C’était un cri qui lui échappait, cette désunion lente,