Page:Emile Zola - La Terre.djvu/251

Cette page a été validée par deux contributeurs.
251
LA TERRE.

Toutes deux commençaient à être inquiètes, ça ne marchait guère, bien que le travail, du côté des os, parût fini. Le passage y était, pourquoi le veau ne sortait-il pas ? Elles flattaient la bête, l’encourageaient, lui apportaient des friandises, du sucre, que celle-ci refusait, la tête basse, la croupe agitée de secousses profondes. À minuit, Lise, qui jusque-là s’était tordue, se trouva brusquement soulagée : ce n’était encore, pour elle, qu’une fausse alerte, des douleurs errantes ; mais elle fut persuadée qu’elle avait rentré ça, comme elle aurait réprimé un besoin. Et, la nuit entière, elle et sa sœur veillèrent la Coliche, la soignant, faisant chauffer des torchons, qu’elles lui appliquaient brûlants sur la peau ; tandis que l’autre vache, Rougette, la dernière achetée au marché de Cloyes, étonnée de cette chandelle qui brûlait, les suivait de ses gros yeux bleuâtres, ensommeillés.

Au soleil levant, Françoise, voyant qu’il n’y avait toujours rien, se décida à courir chercher leur voisine, la Frimat. Celle-ci était réputée pour ses connaissances, elle avait aidé tant de vaches, qu’on recourait volontiers à elle dans les cas difficiles, afin de s’éviter la visite du vétérinaire. Dès qu’elle arriva, elle eut une moue.

— Elle n’a pas bon air, murmura-t-elle. Depuis quand est-elle comme ça ?

— Mais depuis douze heures.

La vieille femme continua de tourner derrière la bête, mit son nez partout, avec de petits hochements de menton, des mines maussades, qui effrayaient les deux autres.

— Pourtant, conclut-elle, v’là la bouteille qui vient… Faut attendre pour voir.

Alors, toute la matinée fut employée à regarder se former la bouteille, la poche que les eaux gonflent et poussent au-dehors. On l’étudiait, on la mesurait, on la jugeait : une bouteille tout de même qui en valait une autre, bien qu’elle s’allongeât, trop grosse. Mais, dès neuf heures, le travail s’arrêta de nouveau, la bouteille pendit, stationnaire, lamentable, agitée d’un balancement régulier, par